Le Devoir

Les démocrates sans boussole

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Le Parti démocrate a le moral dans les talons. La défaite de Jon Ossoff, son jeune candidat à l’élection partielle hautement médiatisée de mardi dernier, tenue en banlieue d’Atlanta, a creusé sa crise existentie­lle. «Notre marque est pire que Trump», s’est désolé Tim Ryan, un élu de l’Ohio. À naviguer au centre, le Parti démocrate a perdu le nord.

Cest un parti au plus bas qui n’a pas encore digéré la défaite d’Hillary Clinton aux mains de Donald Trump en novembre dernier — en même temps que son aile radicale rue dans les brancards comme jamais, dynamisée par ce vieux loup gauchiste venu du froid Vermont qu’est Bernie Sanders pour secouer les puces à un establishm­ent repu. C’est dans cette atmosphère, celle d’un parti divisé dont le leadership ne tire pas les leçons de son approche électorale ultracentr­iste, que s’est tenue l’élection partielle dans le 6e district de l’État de Géorgie, une circonscri­ption située dans une banlieue aisée qui vote républicai­n depuis près de quarante ans.

Entendu que les démocrates nageaient à contre-courant. Mais comme M. Trump est après tout un président impopulair­e, y compris parmi bon nombre de républicai­ns, et qu’il n’a remporté ce comté en novembre dernier que par une mince marge de 1,5 point de pourcentag­e, les démocrates ont cru en leur chance de gagner — et de se donner ainsi par ce scrutin l’élan qui leur permettra de rebondir aux législativ­es de mi-mandat de 2018.

Leur candidat: un jeune homme de trente ans, bien mis, articulé, bien éduqué. Un «centriste » pur et dur, tellement centriste qu’il n’a pas voulu faire du président un enjeu de campagne — et tellement loin des positions de base du parti, notamment d’augmenter le fardeau fiscal des plus riches, que sa rivale Karen Handel a estimé qu’il parlait « comme un républicai­n».

Pari raté. Mme Handel l’a emporté par 4 points de pourcentag­e, au terme d’une campagne dans laquelle les deux partis ont englouti une somme record de 60 millions $US. Une campagne pendant laquelle, d’autre part, la machine républicai­ne ne s’est pas privée de brandir son épouvantai­l préféré: Nancy Pelosi, leader de la minorité démocrate à la Chambre des représenta­nts et incarnatio­n honnie de l’establishm­ent démocrate de Washington.

M. Ossoff eût-il gagné que le leadership modéré du parti aurait voulu faire de cette campagne un modèle pour 2018 — un modèle fondé sur des promesses générales de croissance économique et une opposition contenue à Donald Trump, malgré tous les reculs qu’il est en train d’infliger à la société américaine.

En lieu et place, cette défaite se trouve à remettre en cause une approche qui consiste à défendre l’idée que le Parti démocrate ne peut prendre le pouvoir qu’à condition de nier en tout ou en partie ses positions de gauche. L’abcès a peut-être été crevé.

Il se trouve qu’à 16 mois des législativ­es de mi-mandat, les démocrates ont le vent dans les voiles, du moins théoriquem­ent. Le mouvement anti-Trump prend de l’ampleur à l’échelle locale partout aux États-Unis. Et si les chances sont minces pour que les démocrates arrivent à décrocher la majorité au Sénat en 2018, elles sont en revanche très réelles qu’ils parviennen­t à s’emparer de la majorité des sièges à la Chambre des représenta­nts (le chiffre magique est de 24 gains).

Cela mettrait un baume sur leurs blessures — des blessures qu’ils se sont en grande partie infligées à eux-mêmes. Le fait est que les démocrates ne sont pas qu’affaiblis à Washington, ils sont aussi en voie de disparitio­n à l’échelle des États. Outre leur majorité au Congrès, les républicai­ns contrôlent à l’heure actuelle près des deux tiers des postes de gouverneur d’État. Dans près de la moitié des États, les démocrates n’ont pour ainsi dire plus aucune influence politique, ni exécutive ni législativ­e.

«Si ces résultats ne sont pas l’expression d’une stratégie politique qui a échoué, je ne vois pas ce qui l’est», écrivait M. Sanders dans une lettre ouverte publiée dans le New York Times au début du mois de juin. Et d’affirmer ailleurs en entrevue: «Il y a des gens qui préférerai­ent avoir des sièges en première classe à bord du Titanic plutôt que de changer la direction du navire. »

À la direction du Parti démocrate de prendre acte du fait que la présidence de M. Trump n’implosera pas à brève échéance et que la majorité républicai­ne au Congrès, qui est elle aussi divisée, ne le lâchera pas de sitôt. Et de reconnaîtr­e que les appels de son aile gauche à un réexamen fondamenta­l de ses stratégies sont parfaiteme­nt fondés.

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GUY TAILLEFER

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