Du neuf en Alberta
Le ciel semble s’éclaircir sur les Prairies alors que les 82 000 francophones d’Alberta viennent d’obtenir l’adoption d’une politique sur les services en français. «Chez nous, quand on obtient des services en français, ce n’est pas parce que le gouvernement l’a voulu, mais parce que le hasard a placé un francophone en poste», dit Brigitte Kropielnicki, vice-présidente de l’Association canadiennefrançaise de l’Alberta (ACFA) et directrice générale du Conseil scolaire du Nord-Ouest No 1, à 500 km d’Edmonton. « La nouvelle politique va assurer des services en français plus stables. Ça ne sera plus juste une question de chance.»
Dans cette province où le français fut la première langue européenne parlée, cette nouvelle avancée sort le français du caveau obscur où le gouvernement provincial l’avait relégué. Avec la Colombie-Britannique, l’Alberta était l’avant-dernière province canadienne à se borner à n’offrir aux francophones qu’un simple secrétariat.
Le Secrétariat francophone de l’Alberta, qui relève du ministère de la Culture, était un organe de liaison qui agissait un peu comme une sorte d’ombudsman des francophones auprès des autres ministères. Dans la nouvelle politique, chaque ministère devra ouvrir une porte et le Secrétariat s’assurera qu’elle reste ouverte. « Le message de cette politique, c’est que les services en français, c’est important, ce n’est pas juste parce que je le veux, mais parce que j’y ai droit », dit Brigitte Kropielnicki.
Les atomes crochus sont nombreux entre les Franco-Albertains et le nouveau gouvernement néodémocrate de Rachel Notley. « Une douzaine de ministres parlent français. Avant, on pouvait s’estimer chanceux s’il y en avait trois», s’étonne Brigitte Kropielnicki. Désormais, l’Alberta reconnaît le drapeau des Franco-Albertains parmi ses emblèmes of ficiels.
L’intention réelle de la première ministre Rachel Notley était de présenter une loi sur les services en français, mais elle a choisi d’y aller à petits pas avec une politique qui pourra servir de cadre à une éventuelle loi. C’est que le fond antifrancophone est fort en Alberta, et la récession rendait la perspective d’une loi-cadre, plus coûteuse, difficile à justifier.
«Une politique, c’est un voeu pieux», convient Jean Johnson, ancien président de l’ACFA et nouveau président de la Fédération des communautés francophones et acadiennes. Selon lui, la posture qu’adoptera l’ACFA dans les prochains mois sera déterminante pour la suite. «Si les fonctionnaires se sentent harcelés, ils vont se braquer et fermer la porte. L’enjeu sera de ne pas présenter la politique comme une course à l’argent, mais de mettre en valeur ce qui peut être fait sans que ça coûte rien.» Par exemple, en inscrivant le bilinguisme dans le descriptif des postes à pourvoir.
Parce qu’une politique est aisément réversible, les Franco-Albertains continueront de lutter pour obtenir une loi sur les services en français.
«Ça n’est jamais facile, dit Brigitte Kropielnicki. On se fait souvent dire: “Pourquoi je devrais le faire en français, si vous comprenez l’anglais ?” » Et même au ministère albertain de l’Éducation, explique-t-elle, bien des fonctionnaires ne sont pas au courant que la gestion des écoles francophones par des francophones est une exigence constitutionnelle.
Ailleurs au Canada
Hors Québec, le socle de la protection linguistique n’est plus la religion, mais la loi et le système éducatif. Les francophones avaient leurs écoles depuis longtemps, mais depuis 1990, la Cour Suprême a statué qu’ils doivent pouvoir gérer euxmêmes leurs écoles à travers leurs propres conseils scolaires francophones. « Ça a pris du temps, mais on l’a eu!» dit Brigitte Kropielnicki.
Pour le reste, chaque province y va comme elle le sent. Par rapport aux Franco-Albertains, les francophones de l’Ontario et du NouveauBrunswick roulent en Cadillac. En plus de leurs lois sur les services en français, les deux législatures ont chacune créé un poste de commissaire chargé de veiller à l’application de la loi.
Tout de même, trois autres provinces — l’Îledu-Prince-Édouard, la Nouvelle-Écosse et le Manitoba — ont une loi sur les services en français, sans toutefois aller jusqu’au commissariat. Quant à l’Alberta, elle vient de rejoindre TerreNeuve et la Saskatchewan, dotées d’une simple politique, tandis que la Colombie-Britannique se contente d’un simple «programme des affaires francophones ».
Même si Ottawa applique sans enthousiasme sa Loi sur les langues officielles, celle-ci a néanmoins un effet d’entraînement. Par exemple, la loi fédérale donne à Patrimoine canadien le pouvoir d’inciter les provinces à statuer sur le français.
C’est ainsi que ce ministère a signé avec toutes les provinces des ententes financières pour l’enseignement et les services en français. La condition pour recevoir l’argent est que le gouvernement provincial y contribue aussi et qu’il parle aux représentants des communautés francophones locales pour établir les besoins. Dans le cas des plus bouchés, ça force le dialogue.