Liu Xiaobo, un prix Nobel de la paix libre de mourir
Le dissident est libéré de prison alors qu’on lui diagnostique un cancer du foie en phase terminale
Il avait été condamné, en 2009, à onze ans de prison pour «subversion» avant de recevoir, l’année suivante, le Nobel de la paix pour son combat pour la démocratie en Chine. Figure de proue de la dissidence chinoise, l’écrivain et intellectuel Liu Xiaobo a obtenu lundi une libération conditionnelle pour raison médicale, selon son avocat.
Atteint d’une hépatite chronique depuis de nombreuses années, le plus célèbre des dissidents chinois en Occident souffre d’un cancer du foie en phase terminale qui a contraint le pouvoir communiste à le transférer vers un hôpital de Shenyang, à 700 kilomètres au nord-est de Pékin, pour qu’il reçoive les traitements appropriés.
Le diagnostic médical était tombé le 23 mai, et Liu Xiaobo, 61 ans, était sorti de prison quelques jours après. Très peu d’informations avaient filtré ces dernières années sur sa condition physique et mentale. «Un Prix Nobel de la paix va mourir des suites de sa détention, s’alarme son ami de longue date Jean-Philippe Béja,
qui a traduit ses écrits en français. Liu Xiaobo aurait pu sortir de prison après avoir purgé la moitié de sa peine, pour bonne conduite. Le gouvernement chinois, à l’époque, ne l’avait pas permis. En le libérant pour raison médicale, le Parti s’en lave les mains aujourd’hui, mais personne n’est dupe. »
L’annonce de sa maladie, doublée de celle de sa libération conditionnelle, à caractère strictement humanitaire et non politique, a plongé ses proches dans une très grande tristesse. L’épouse de l’ancien prof de philosophie, la peintre et poète Liu Xia, vit depuis l’annonce du prix Nobel en résidence surveillée. En 2013, son frère est condamné à onze ans de prison pour évasion fiscale. Isolée, contrôlée jour et nuit, Liu Xia s’enfonce chaque année dans une dépression sévère.
Pacifiste
«Liu Xiaobo sort de prison, certes, mais il a déjà été mis à terre. Nous sommes très tristes, pour lui comme pour sa femme. Ça va être un énorme choc pour elle d’apprendre que son mari a un cancer, témoigne Kit
Chan, directrice du China Human Rights Lawyers Concern Group, une petite ONG de Hong-Kong qui avait plaidé pour sa libération. Presque dix ans se sont écoulés depuis la condamnation de Liu Xiaobo. Or, nous ne constatons aucun progrès en matière des droits de la personne, bien au contraire. L’espace civique en Chine se réduit comme peau de chagrin. »
Comme tant d’autres dissidents et défenseurs des droits, Liu Xiaobo paye très cher une vie de frondeur, même pacifiste. Pendant son adolescence dans un village de Mongolie intérieure, où son père a été envoyé en « rééducation » par le Parti communiste, il se passionne pour la littérature, et entre à l’université à 21 ans. Il aiguise sa plume acérée contre ses pairs, et se rend célèbre parmi les intellectuels pékinois pour ses essais provocateurs.
Après avoir obtenu un doctorat de littérature, il est professeur invité à l’Université américaine Columbia quand la révolte des étudiants éclate en Chine en 1989. À 33 ans, il rentre alors au pays pour participer au Printemps de Pékin, qui soulève l’espoir de centaines de milliers de Chinois avides de plus de liberté. Le mouvement sera écrasé dans le sang le 4 juin, et Liu Xiaobo passera un an et demi en prison pour «incitation au comportement contre-révolutionnaire».
«Acte inamical»
C’est le début d’un long bras de fer entre le pouvoir et l’écrivain. On lui interdit d’enseigner, il est harcelé par la police et la justice durant deux décennies et fait plusieurs séjours en prison, dont trois ans pour « trouble à l’ordre public». En 2008, alors que les Jeux olympiques de Pékin mettent le pays sous les projecteurs étrangers, Liu Xiaobo participe au lancement de la «Charte 08», pétition inspirée de la Charte 77 de Vaclav Havel rédigée dans la Tchécoslovaquie occupée par l’URSS. Le manifeste, considéré comme plutôt mesuré, demande au gouvernement de respecter les libertés d’expression, d’association et de religion inscrites dans la Constitution chinoise et réclame plus de démocratie.
Un an après, en décembre 2009, après une parodie de procès de deux heures, Liu Xiaobo est condamné à onze ans de prison. Il sera le seul des 300 signataires de la Charte 08 à écoper d’une peine aussi lourde. En décembre 2010, le Comité Nobel décide de lui attribuer le prix Nobel de la paix, malgré des pressions du gouvernement chinois sur la Norvège pour empêcher cet «acte inamical ». Les deux pays ne se reparleront qu’en décembre dernier, soit six ans plus tard. À l’époque, la plupart des commentateurs pensaient que Pékin n’oserait pas garder longtemps un Nobel en prison. Seule la maladie l’en aura tiré.