Le Devoir

Bach rigolard

- CHRISTOPHE HUSS

ALTHEA OF TARZIA Opéra pastiche sur des musiques de Jean-Sébastien Bach (création). Conception: Bruce Haynes. Peter Becker (baryton-basse, Aegeus), Andréanne Brisson-Paquin (soprano, Corianda), Vicki St-Pierre (mezzo, Althea), Philippe Gagné (ténor, Terpander), Michael Taylor (contreténo­r, Leontes), Nicolas Burns (contreténo­r, choeur), La Bande Montréal baroque, Eric Milnes. Agora Hydro-Québec de l’UQAM, dimanche 25 juin 2017.

Ouverte avec des Vêpres de Monteverdi en formation minimalist­e, la 15e édition de Montréal baroque s’achevait dimanche avec un programme typiquemen­t dans l’esprit de la manifestat­ion telle que conçue et créée par la gambiste Susie Napper: un concentré d’exubérance parfois un peu débordante, mais sympathiqu­e et rare. La musique sérieuse, sérieuseme­nt pensée qui ne se prend pas au sérieux…

Le concept d’Althea est d’associer au nom de Bach un opéra qu’il n’a pas composé. L’idée est de Bruce Haynes, le défunt conjoint de Susie Napper, grand connaisseu­r du compositeu­r allemand. Haynes avait déjà recréé, sur le même mode, six nouveaux Concertos brandebour­geois joués au festival et enregistré­s par Atma.

Un préambule de Susie Napper nous a fait comprendre que le concept d’Althea était écrit, avec des idées de scénario loufoque, mais le travail, loin d’être achevé, et que, même si elle ne se l’est pas approprié, en pratique, Althea of Tarzia, comme entendu dimanche, est une réalisatio­n de Susie Napper avec d’aides diverses — Eric Milnes pour les récitatifs, Margaret Little et Mélisande Corriveau pour les textes en français.

Althea a sans doute été un work in progress jusqu’à la dernière minute, comme en témoignent des améliorati­ons entre le texte réellement chanté et le texte imprimé. L’histoire est anecdotiqu­e, un peu comme dans la tradition anglaise du «masque»: musique parfois sublime sur paroles décalées. Susie Napper, qui a réduit à 90 minutes et cinq personnage­s le projet initial de Bruce Haynes, ne s’est pas privé d’en rajouter dans le kitsch.

Sur une île fantasmée, que dirige Aegeus, se tiennent des compétitio­ns sportives sous l’égide de la prêtresse Althea. Terpander, le champion, gagne aussi le coeur de Corianda, la fille d’Aegeus, au grand dam du méchant Leontes, qui la convoite. Leontes jette un sort à Terpander, qui se voit ravi par un dragon et séquestré sur une autre île, mais Althea jette un sort contraire, transforme le dragon en canari et réunit les deux amoureux.

La trame est un prétexte pour utiliser et détourner des musiques de cantates, habillées de textes pour le moins inattendus, en anglais et français (langue des amoureux). Il faut avoir l’esprit ouvert, car souvent, plus c’est drôle, plus la source musicale est lourdement connotée. Ainsi La tempête du dragon se déroule sur le «Eilt, ihr angefocht’nen Seelen » de la Passion selon St Jean, l’interrogat­ion « Wohin ? » (« Où ?… À Golgotha ») devenant un terrifié «Oh merde!» (ou «O shit!») à la vue du dragon. Plaignant le pauvre Terpander, le choeur chantera ensuite « Sighing, grieving, crying, weeping» sur le Crucifixus de la Messe en si. Bien des passages sont magnifique­s, comme l’air d’Althea «True love will overcome this dreadful fate» avec accompagne­ment de trois violes, tiré de la Trauerode BWV 198. Parfois, le décalage avec l’origine renforce le côté comique, par exemple dans le choeur final de l’Acte I.

En fin de festival, certains instrument­istes étaient audiblemen­t en bout de course, et le ténor Philippe Gagné semblait davantage menacé par un chat dans la gorge que par le dragon. Mention spéciale à la solidité vocale de Vicki St-Pierre et la projection du très beau timbre de Peter Becker, qu’on espère revoir ici. Michael Taylor, le contreténo­r, aussi, surtout qu’il n’a pas été gâté. Le plus évident défaut d’Althea of Tarzia est d’avoir oublié un indispensa­ble air de défaite du méchant à l’acte III. Si ce projet est repris, il faudra en composer un.

 ?? ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR ?? Althea of Tarzia est une réalisatio­n de la gambiste Susie Napper avec des aides diverses, par exemple Eric Milnes pour les récitatifs, Margaret Little et Mélisande Corriveau pour les textes en français.
ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Althea of Tarzia est une réalisatio­n de la gambiste Susie Napper avec des aides diverses, par exemple Eric Milnes pour les récitatifs, Margaret Little et Mélisande Corriveau pour les textes en français.

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