Bach rigolard
ALTHEA OF TARZIA Opéra pastiche sur des musiques de Jean-Sébastien Bach (création). Conception: Bruce Haynes. Peter Becker (baryton-basse, Aegeus), Andréanne Brisson-Paquin (soprano, Corianda), Vicki St-Pierre (mezzo, Althea), Philippe Gagné (ténor, Terpander), Michael Taylor (contreténor, Leontes), Nicolas Burns (contreténor, choeur), La Bande Montréal baroque, Eric Milnes. Agora Hydro-Québec de l’UQAM, dimanche 25 juin 2017.
Ouverte avec des Vêpres de Monteverdi en formation minimaliste, la 15e édition de Montréal baroque s’achevait dimanche avec un programme typiquement dans l’esprit de la manifestation telle que conçue et créée par la gambiste Susie Napper: un concentré d’exubérance parfois un peu débordante, mais sympathique et rare. La musique sérieuse, sérieusement pensée qui ne se prend pas au sérieux…
Le concept d’Althea est d’associer au nom de Bach un opéra qu’il n’a pas composé. L’idée est de Bruce Haynes, le défunt conjoint de Susie Napper, grand connaisseur du compositeur allemand. Haynes avait déjà recréé, sur le même mode, six nouveaux Concertos brandebourgeois joués au festival et enregistrés par Atma.
Un préambule de Susie Napper nous a fait comprendre que le concept d’Althea était écrit, avec des idées de scénario loufoque, mais le travail, loin d’être achevé, et que, même si elle ne se l’est pas approprié, en pratique, Althea of Tarzia, comme entendu dimanche, est une réalisation de Susie Napper avec d’aides diverses — Eric Milnes pour les récitatifs, Margaret Little et Mélisande Corriveau pour les textes en français.
Althea a sans doute été un work in progress jusqu’à la dernière minute, comme en témoignent des améliorations entre le texte réellement chanté et le texte imprimé. L’histoire est anecdotique, un peu comme dans la tradition anglaise du «masque»: musique parfois sublime sur paroles décalées. Susie Napper, qui a réduit à 90 minutes et cinq personnages le projet initial de Bruce Haynes, ne s’est pas privé d’en rajouter dans le kitsch.
Sur une île fantasmée, que dirige Aegeus, se tiennent des compétitions sportives sous l’égide de la prêtresse Althea. Terpander, le champion, gagne aussi le coeur de Corianda, la fille d’Aegeus, au grand dam du méchant Leontes, qui la convoite. Leontes jette un sort à Terpander, qui se voit ravi par un dragon et séquestré sur une autre île, mais Althea jette un sort contraire, transforme le dragon en canari et réunit les deux amoureux.
La trame est un prétexte pour utiliser et détourner des musiques de cantates, habillées de textes pour le moins inattendus, en anglais et français (langue des amoureux). Il faut avoir l’esprit ouvert, car souvent, plus c’est drôle, plus la source musicale est lourdement connotée. Ainsi La tempête du dragon se déroule sur le «Eilt, ihr angefocht’nen Seelen » de la Passion selon St Jean, l’interrogation « Wohin ? » (« Où ?… À Golgotha ») devenant un terrifié «Oh merde!» (ou «O shit!») à la vue du dragon. Plaignant le pauvre Terpander, le choeur chantera ensuite « Sighing, grieving, crying, weeping» sur le Crucifixus de la Messe en si. Bien des passages sont magnifiques, comme l’air d’Althea «True love will overcome this dreadful fate» avec accompagnement de trois violes, tiré de la Trauerode BWV 198. Parfois, le décalage avec l’origine renforce le côté comique, par exemple dans le choeur final de l’Acte I.
En fin de festival, certains instrumentistes étaient audiblement en bout de course, et le ténor Philippe Gagné semblait davantage menacé par un chat dans la gorge que par le dragon. Mention spéciale à la solidité vocale de Vicki St-Pierre et la projection du très beau timbre de Peter Becker, qu’on espère revoir ici. Michael Taylor, le contreténor, aussi, surtout qu’il n’a pas été gâté. Le plus évident défaut d’Althea of Tarzia est d’avoir oublié un indispensable air de défaite du méchant à l’acte III. Si ce projet est repris, il faudra en composer un.