Le Devoir

Cinquante ans et toujours le coeur à la fête

Le Festival d’été de Québec a grandi en harmonie avec la société qui l’a vu naître

- ISABELLE PORTER à Québec

Cinquante ans, ce n’est pas si vieux pour un être humain, mais pour un Festival, c’est un âge vénérable. Des courses de chevaux au théâtre en passant par les crises de nerfs de Marjo, plongée dans la faste histoire de cet événement incontourn­able qu’est le Festival d’été de Québec (FEQ).

«C’est le père des festivals», résume l’ancien directeur Michel Létourneau, qui rappelle que l’événement naît bien avant le Festival de jazz (1981) et même un an avant Woodstock. L’idée vient d’un jeune artiste de Québec, Louis Ricard, qui a convaincu six de ses amis de se lancer dans l’affaire. «Il arrivait de Paris, où il avait fait des études en cinéma et avait vu des animations de places publiques dans le Marais et dans les cours intérieure­s d’hôtels particulie­rs», raconte l’un des fondateurs, Bernard Pelchat. «C’est ce qui lui avait donné l’idée d’implanter ça ici. »

Le premier spectacle était d’ailleurs programmé dans la cour intérieure du Petit Séminaire. Modeste, le budget s’élevait

«Le Festival, ça a été une grande école pour bien du monde »

à 17 000$ à l’époque, l’équivalent de 113 000$ en dollars d’aujourd’hui. Aujourd’hui, c’est une machine dotée d’un budget de plus de 20 millions qui attire 1,5 million de personnes par an.

Présumons que, dans ses rêves les plus fous, le groupe des fondateurs n’aurait pas pu imaginer un tel destin… Non? «Je dirais qu’on imaginait encore plus que ça», assure M. Pelchat. «Dans la programmat­ion du premier festival, il y avait de la chanson, du théâtre, des arts visuels, de l’opéra, de la musique classique. Dans notre esprit, on voulait développer chacune de ces discipline­s-là de façon à occuper l’espace culturel tout l’été.»

M. Pelchat participai­t mardi avec les autres fondateurs à l’inaugurati­on d’une sympathiqu­e exposition consacrée aux 50 ans du Festival dans le parc jouxtant le Grand Théâtre.

Quand il contemple les photos d’époque de l’exposition, le directeur actuel, Daniel Gélinas, est époustoufl­é. «Il y a une photo là-bas des années 1970. La scène, c’est juste une plateforme. Tout le monde est assis en arrière, il n’y a pas de sécurité… […] C’est tellement loin de ce

Michel Létourneau

qu’on fait là », s’amuse-t-il.

En même temps, une certaine constance traverse les 50 ans selon lui. « Le festival a toujours été au rythme des humeurs sociopolit­iques», ditil. D’abord soixante-huitard, puis nationalis­te dans les années 1970. Il s’ouvre aux musiques du monde dans les années 1980 et plonge dans la mondialisa­tion durant les années 1990-2000. «Le Festival, c’est non seulement des souvenirs impérissab­les, mais c’est aussi l’évolution de notre propre société.»

Des souvenirs et des lucioles

Mercredi soir, ils seront 400 anciens et nouveaux collaborat­eurs à célébrer la chose lors d’une grande réception à l’Impérial. Le plus ancien des membres actuels de l’équipe du Festival, Jean-Érick Dorval, n’est pas beaucoup plus âgé que le Festival lui-même. À 56 ans, il a passé grosso modo 30 ans à travailler à l’événement.

Ses meilleurs souvenirs? Le concert d’un Mathieu Chédid méconnu en 1998. « J’étais du petit groupe de gens rassemblés au Pub StAlexandr­e. […] J’étais placé en avant, à la hauteur de ses pédales de guitare.» Quelques années plus tard, M se produira sur la grande scène des plaines. «La découverte a toujours été en avant au festival », insiste M. Dor val.

Mais encore ? «Je me rappelle Le D’Auteuil [l’ancienne salle de spectacle de la rue du même nom] avant que la façade ne s’effondre en 2001. Il y avait là des fins de soirées endiablées avec des programmes doubles nocturnes à 20 h 20 et 1 h 30 du matin ! Les employés, on était là et on reprenait le travail le lendemain! On roulait comme ça les onze jours.»

Jean-Érick Dorval a fait presque tous les métiers au sein de l’organisme, de téléphonis­te à adjoint à la direction générale en passant par les demandes de subvention­s et les photos de spectacles. Il a même déjà figuré au programme comme musicien.

«Le Festival, ça a été une grande école pour bien du monde», souligne Michel Létourneau, qui a dirigé le Festival entre 1992 et 2000. Un moment marquant pour lui ? « Ce que je me rappelle, c’est l’ambiance qui nous a permis, à moi et à d’autres, d’accompagne­r Georges Moustaki un soir dans un jam informel. À la fin de tout ça, je lui ai chanté Le Métèque. J’en parle et j’en ai encore des frissons. »

L’ancien patron ne s’en cache pas: le virage entrepris après son départ pour faire venir de grandes vedettes internatio­nales ne l’a pas emballé. « Ce que le Festival a gagné en puissance, il l’a perdu en finesse, en accessibil­ité», avance-til. Une tangente dont il s’estime toutefois en partie « responsabl­e ». « C’est à mon époque qu’on a introduit le macaron payant obligatoir­e [en 1995]. On était conscient qu’on était en train de créer un monstre. »

Avec les années, le macaron lumineux est devenu une sorte de signature pour le Festival. Combien d’artistes ont pensé être en train d’halluciner à la vue de ces milliers de lucioles scintillan­t dans la ville ?

À 100$ le laissez-passer, le FEQ n’en reste pas moins très abordable pour ce qu’il offre, signale le cinéaste Nicolas Léger. Sa maison de production Ciné-Scène prépare un documentai­re sur le Festival qu’on devrait voir, au plus tard, au printemps 2018 à Radio-Canada.

«Je suis allé à la Canadian Music Week à Toronto. Les gens là-bas sont quand même impression­nés. Ils se demandent si on est conscients de ce qu’on a dans notre cour: l’ampleur du festival, ce qu’il est devenu et le prix qui est dérisoire, selon plusieurs, pour onze heures de programmat­ion.»

De tous les changement­s qui l’ont marqué, il ne faut pas sous-estimer l’expertise, poursuit Jacques Lamontagne, responsabl­e des archives au FEQ. «La grande différence, c’est l’expérience. Dans le passé, le Festival ne gardait pas son monde. Aujourd’hui, il y a une quarantain­e de permanents.»

En 1990, M. Lamontagne avait été embauché comme assistant du responsabl­e de la programmat­ion classique. À l’époque, on se débrouilla­it avec les moyens du bord, se rappelle-t-il. « S’il te manquait un fil électrique, tu ne demandais pas à quelqu’un d’aller t’en chercher un, tu allais toi-même chez RONA », dit-il en riant.

Rencontré dans les bureaux du FEQ, rue Saint-Joseph, M. Lamontagne montre les vieux programmes des années 1980 et même d’avant. Dans celui de 1971, il n’y a pratiqueme­nt que du théâtre et de l’animation de rue.

En fait, on a présenté presque de tout au Festival d’été. Même des courses de chevaux, rappelle Nicolas Léger. «Ce que je trouve impression­nant, c’est qu’un Festival soit aussi actif après 50 ans. Il a vu le jour un an avant Woodstock, ce n’est pas rien. Et ce, dans un marché qui n’est pas nécessaire­ment celui des grandes tournées.»

Dans son documentai­re, il suit notamment quatre jeunes festivaliè­res qui participen­t activement au FEQ depuis l’âge de 12 ans. Luimême a gardé un souvenir impérissab­le de son premier spectacle en 1990. Un concert légendaire de Jean Leloup à place d’Youville.

Pour Daniel Gélinas, l’actuel directeur, c’est peut-être le concert de Bénabar au même endroit en 2005 alors que Xarxa Teatre déployait sa pyrotechni­e de l’autre côté des fortificat­ions. Pour d’autres, c’est Marjo qui pique une sainte colère en 1987 parce qu’on lui demande de terminer son spectacle à 23 h. Il y a aussi Bérurier noir dans la boue sur les plaines en 2004. Et aussi…

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FRANCIS VACHON LE DEVOIR Pour une centaine de dollars, les festivalie­rs ont droit à onze heures de programmat­ion.
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COLLECTION DU FEQ Animation de rue lors du Festival d’été de Québec

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