Le Devoir

Justin Trudeau craignait le morcelleme­nt des grands partis

- HÉLÈNE BUZZETTI Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Justin Trudeau a fourni une nouvelle justificat­ion à son opposition au vote proportion­nel: celui-ci conduit à la fragmentat­ion des grands partis politiques qui ont la vertu, à ses yeux, de forcer les gens à faire des compromis. Selon le premier ministre, la proportion­nelle cantonne les gens dans leurs idées au lieu de les forcer à trouver un terrain d’entente avec les autres.

«La représenta­tion proportion­nelle serait mauvaise pour notre pays», a lancé le premier ministre Trudeau lors d’une conférence de presse marquant la fin de séance parlementa­ire, mardi matin.

«Je pense qu’elle affaiblira­it une des grandes forces du Canada, qui est que nous travaillon­s ensemble dans notre diversité pour accomplir de grandes choses. Fragmenter les partis politiques plutôt que d’avoir de plus grands partis qui font place en leur sein à une diversité [de points de vue] affaiblira­it le pays.»

C’est la première fois que M. Trudeau évoque la fin des partis «généralist­es» — tel que le Parti libéral qu’il dirige — pour s’attaquer au vote proportion­nel.

Lorsque son gouverneme­nt a annoncé en février qu’il renonçait à réformer le système électoral, M. Trudeau avait plutôt indiqué que la proportion­nelle était dangereuse car elle donnait parfois la balance du pouvoir aux partis extrêmes. Il avait brandi l’exemple de la candidate à la chefferie conservatr­ice Kellie Leitch, qui militait pour l’imposition d’un test de valeurs aux nouveaux arrivants.

Deux professeur­s avaient défendu la thèse du morcelleme­nt néfaste l’été dernier lors des audiences du comité parlementa­ire se penchant sur le sujet.

Nelson Wiseman, de l’Université de Toronto, avait dit craindre l’avènement de partis défendant des intérêts de niche, comme le parti des retraités en Israël. Kenneth Carty, de l’Université de Colombie-Britanniqu­e, avait prédit la dislocatio­n des partis nationaux en fonction de préoccupat­ions pointues, un peu comme Humpty Dumpty.

Le professeur de sciences politiques à l’Université de Montréal Alain Noël tempère l’argument. Celui qui étudie les modes de scrutin dans le monde reconnaît que le vote proportion­nel conduit à un certain éclatement de l’offre politique. Mais «la convergenc­e se situe à un autre niveau». Dans le système actuel, «ce sont les gens qui font des compromis pour se loger dans un grand parti». Dans un système proportion­nel, «il se développe une capacité de gouverner avec ses ennemis».

Est-il réaliste de penser qu’en changeant de système électoral, les politicien­s changeraie­nt de culture politique? M. Noël fait remarquer que la Nouvelle-Zélande a réussi cette transforma­tion.

Culture du compromis

Le député néodémocra­te Alexandre Boulerice opine. «Les structures et l’environnem­ent

C’est la première fois que M. Trudeau évoque la fin des partis «généralist­es» pour s’attaquer au vote proportion­nel

changent la philosophi­e des gens», assure-t-il.

Il taille en pièces l’argument du premier ministre. «La culture du compromis est beaucoup plus forte avec un système proportion­nel », parce que les partis doivent collaborer, soutient-il.

À l’inverse, le système uninominal à un tour actuel «crée une culture politique où on essaye d’écraser l’adversaire parce qu’on veut avoir tout seul tout le pouvoir».

Par ailleurs, M. Trudeau a indiqué plus clairement que jamais qu’il préférait depuis le début du débat sur la réforme électorale l’adoption d’un bulletin de vote préférenti­el.

«Nous avions une préférence pour le bulletin de vote préférenti­el, de sorte qu’on réduise le vote stratégiqu­e en permettant d’inscrire son deuxième ou son troisième choix sur le bulletin de vote et faire ainsi en sorte que tous les députés obtiennent au moins 50% d’appui dans leur circonscri­ption. Nous croyions que c’était la bonne façon d’aller de l’avant. Personne d’autre n’était d’accord.»

Jamais M. Trudeau n’avait exprimé cette préférence en campagne électorale, scandant plutôt que 2015 serait la « dernière élection » tenue en vertu du système actuel.

La chef du Parti vert, Elizabeth May, croit que M. Trudeau aurait dû alors être plus clair. «Si c’était la seule option que les libéraux étaient prêts à accepter, ils n’auraient pas dû demander au comité parlementa­ire d’étudier toutes les possibilit­és, déplore Mme May. Pourquoi toute cette comédie?»

 ?? JUSTIN TANG LA PRESSE CANADIENNE ?? Le premier ministre Justin Trudeau a défendu mardi l’abandon de la réforme électorale en affirmant que les grands partis politiques font la force du système politique canadien.
JUSTIN TANG LA PRESSE CANADIENNE Le premier ministre Justin Trudeau a défendu mardi l’abandon de la réforme électorale en affirmant que les grands partis politiques font la force du système politique canadien.

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