Le Devoir

Impression­s de mi-mandat

- DENIS FERLAND

’ L expression « Beaucoup d’activité mais peu d’action» est de mise à Ottawa, alors qu’on arrive à la mi-mandat du gouverneme­nt Trudeau. En 2015, les libéraux «frappaient pour le circuit » avec une plateforme très ambitieuse et sont passés de troisième parti au gouverneme­nt. La surprise et l’ampleur de la victoire ont donné les coudées franches à l’entourage de Justin Trudeau, qui a effectué un changement de garde en profondeur, lequel s’est traduit par un décollage laborieux pour les toutes nouvelles équipes ministérie­lles.

Les balbutieme­nts des dizaines de consultati­ons, lancées par nécessité ou pour gagner du temps, étaient d’autant plus frappants qu’ils contrastai­ent avec le dynamisme du chef et l’impression laissée dès la sortie de Rideau Hall par l’équipe à l’enthousias­me presque fiévreux mise en place par Justin Trudeau et ses conseiller­s.

Résultat: les libéraux ont fait adopter moitié moins de projets de loi que le gouverneme­nt Harper majoritair­e à ses débuts. La comparaiso­n a toutefois ses limites, puisque ces derniers étaient au pouvoir depuis déjà six ans avec deux mandats minoritair­es.

Excuses? Justificat­ions? Plutôt un contexte, contexte un peu perdu de vue dans l’accélérati­on du temps de l’ère de Twitter et des égoportrai­ts dont, il est vrai, M. Trudeau a été le premier à profiter.

En matière de bilan, M. Trudeau s’est chargé hier dans son point de presse de revenir sur la première année au pouvoir: baisse d’impôt sur les revenus moyens, nouvelle allocation pour enfants, infrastruc­tures, Régime de pensions du Canada et suicide assisté. Ce rappel intéressé et l’animation soudaine autour de politiques lancées à la veille des vacances (défense, aide internatio­nale féministe, moratoire sur le transport pétrolier, accès à l’informatio­n et sécurité nationale) ne font pas oublier un engagement important auquel les libéraux ont tout simplement renoncé, soit celui sur la réforme du mode de scrutin.

M. Trudeau affichait un air contrit hier en expliquant que la décision avait été difficile pour lui, car il croyait personnell­ement en cette promesse. Finie la candeur, et un certain manque d’humilité, de cette entrevue-bilan de première année dans nos pages, alors qu’il disait que les Canadiens «ont maintenant un gouverneme­nt avec lequel ils sont plus satisfaits. Et la motivation de vouloir changer le système électoral est moins percutante ».

Si on ajoute les maladroite­s tentatives d’imposer des changement­s aux règles de la Chambre, la motion 6 qui aurait privé l’opposition d’outils procédurau­x légitimes, le financemen­t de groupes sélects et le jeu sur les mots de la réforme sur l’accès à l’informatio­n, l’image d’ouverture et de renouveau qui avait attiré tant de nouveaux électeurs en 2015 en prend pour son rhume. Alors qu’on voit poindre la campagne permanente vers octobre 2019, Justin Trudeau demeure la principale force de son gouverneme­nt avec sa personnali­té qui aplanit encore les aspérités.

Et les solutions de remplaceme­nt ne rivalisent tout simplement pas avec lui. Andrew Scheer a du pain sur la planche avant de changer la donne de l’image et aucun candidat à la direction du NPD ne se compare à M. Trudeau pour ce qui est de la notoriété. Sans compter l’effet Trump qui pourrait pousser des électeurs vers le chef libéral.

Il y a toutefois un risque à tout miser sur le chef quand les politiques directemen­t associées à son image sont mises au rancart. Ajoutons le dossier des pipelines aux exemples mentionnés plus haut et la vulnérabil­ité est là.

Pas certain que la seule légalisati­on du cannabis suffira à renverser la vapeur, sans jeu de mots, chez ces mêmes personnes. Et, quitte à nous répéter, «c’est l’économie, stupide», comme disait un stratège de Bill Clinton. Une économie en redresseme­nt lent, mais sûr, si on se fie à la Banque du Canada. M. Trudeau évitait toutefois tout triomphali­sme hier en disant toujours miser sur les effets à long terme des investisse­ments en infrastruc­ture et en innovation.

Des risques persistent. Qu’arrivera-t-il aux ménages endettés de la classe moyenne si chère à M. Trudeau quand la même banque centrale relèvera inévitable­ment son taux directeur en pleine reprise. Et surtout, que donnera cette renégociat­ion de l’ALENA qui s’enclenche à la mi-août à cause de Donald Trump? Sans parler du déficit persistant qu’Andrew Scheer agite déjà comme un épouvantai­l.

Justement, est-il là, le pari de Justin Trudeau? Sa réponse était toute prête hier sur le choix de ne pas «éliminer le déficit de manière arbitraire et à tout prix ».

Octobre 2019. Dans le coin gauche: les investisse­ments à long terme du premier ministre. Dans le droit: l’austérité et la promesse d’Andrew Scheer de l’éliminer en deux ans de pouvoir et, surtout, de dire comment!

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