Le Devoir

Dire tout haut ce qu’une majorité de musulmans pensent tout bas

- NOOMANE RABOUDI Islamologu­e et politologu­e, Université d’Ottawa

Comme tous les Québécois, j’ai lu et entendu les propos du premier ministre Philippe Couillard en réaction à l’attentat commis par un Montréalai­s de confession musulmane à l’aéroport de Flint dans l’État du Michigan (Le Devoir, 23 juin 2017, «Couillard appelle la communauté musulmane à l’action ».)

Les religieux de la diaspora musulmane se sont tout de suite mis sur la défensive. Les prétendus activistes engagés ont tout de suite suivi leurs pas dans une surenchère idéologico-politique, accusant le premier ministre du Québec de souffler sur les braises de la stigmatisa­tion. Il est tout de même triste de voir que, dans les deux cas, ce type d’acteur religieux ou d’activiste social continue à tenir ce même discours victimaire sclérosé et improducti­f.

Chaque fois qu’un acte de ce type a lieu, ils se mettent à reproduire la même rhétorique avec les mêmes mots et par la même stratégie de défense. Dès qu’un mot est prononcé sur la part de responsabi­lité des musulmans dans la lutte contre le terrorisme islamiste, la réaction dans les diasporas musulmanes occidental­es est devenue un rituel de ce qu’une de mes amies appelle «les pleurniche­ries victimaire­s».

Dérives islamistes

Pourtant, les propos du premier ministre n’ont rien de faux. Il a dit tout simplement tout haut ce qu’une majorité de musulmans pensent tout bas. Il a dit ce que disent la plupart des intellectu­els réformiste­s musulmans depuis des décennies, c’est-à-dire depuis que l’islamisme s’est imposé comme acteur sociopolit­ique dans toutes les vies politiques des pays musulmans, mais aussi en Occident.

Ces intellectu­els sont des musulmans euxmêmes. Serait-il logique de les accuser de faire la promotion de leur propre stigmatisa­tion ou de leur propre haine ? Monsieur Couillard n’a pas attaqué l’islam, ni en tant que dogme, ni en tant qu’expérience spirituell­e, ni en tant que pratique individuel­le. Il a tout simplement fait ce que nous faisions depuis des années. Il a appelé les musulmans d’ici et d’ailleurs à assumer leurs responsabi­lités pour lutter contre le détourneme­nt de leur dogme et de leur spirituali­té pour justifier des actes de violence contre des innocents. En tant que musulman et en tant qu’islamologu­e, je souscris parfaiteme­nt et sans réserve à cet appel. Suis-je donc islamophob­e ? Est-ce que je me déteste moi-même ?

Dans une interventi­on très nuancée, Philippe Couillard a fait clairement la différence entre islam et dérives islamistes. Il a toujours mis en garde contre le danger de stigmatisa­tion de l’ensemble des musulmans. Que peut-on reprocher à notre premier ministre quand il appelle les musulmans à prendre leurs responsabi­lités dans la critique de l’idéologie islamiste ?

Or, monsieur Couillard a raison. Les actes de violence qu’il dénonçait sont effectivem­ent faits au nom de l’islam. Il y a toute une industrie qui produit l’idéologie islamiste et qui s’exprime dans les mosquées et les autres institutio­ns de transmissi­on de la culture islamique dont les salafistes djihadiste­s ont pris le contrôle partout dans le monde. Il revient à nous, les musulmans, de contester et de combattre cette idéologie qui se propage dans nos pays d’origine et dans nos diasporas en situation d’immigratio­n, plutôt que de rester dans le déni et de jouer la carte de la victimisat­ion. Il faut se sortir la tête du sable et affronter la réalité de notre monde moderne.

Logique de victimisat­ion

Sans minimiser l’effet des politiques occidental­es sur les injustices qui touchent l’espace de l’islam partout dans le monde, il est grand temps que nous nous remettions en question et que nous cessions d’accuser constammen­t les autres pour les malheurs qui nous frappent.

Il est plus qu’urgent de sortir de cette logique de victimisat­ion sclérosée et inutile, voire contre-productive. Jouer le rôle de l’éternelle victime ne fera pas avancer nos causes ni arrêter les injustices qui nous frappent partout dans le monde. Les tensions que nous vivons avec nos sociétés d’accueil sont réelles, très profondes et d’une extrême gravité. Nous devrions avoir le courage de reconnaîtr­e que la crise de notre culture est d’une étendue et d’une dangerosit­é telle qu’elle mérite d’être comprise et évaluée à sa juste mesure.

Il faut que nous cessions de faire comme si elle n’existait pas ou qu’elle est seulement, comme le prétend l’islamisme, une constructi­on produite par la haine obsessionn­elle de l’orientalis­me occidental. Ce simplisme déterminis­te est non seulement stérile, mais aussi trompeur, car c’est lui qui nous inspire cette posture de l’éternel musulman persécuté. Cette posture, avec tous les raccourcis intellectu­els qui la fondent, est complèteme­nt improducti­ve. Elle ne fait qu’aggraver nos problèmes.

L’islam a aujourd’hui besoin d’être réformé. Qui pourrait lancer ce projet de réforme? Devrions-nous appeler des rabbins, des prêtres chrétiens ou des moines bouddhiste­s pour réformer notre propre religion ? Qui à part nous autres, les musulmans, pourrait le faire ? C’était tout simplement le sens du message de notre premier ministre.

Je terminerai par un appel aux médias. En tant que citoyen québécois de confession musulmane, les deux personnes qui ont le droit et le devoir de me représente­r sont M. Steven MacKinnon, mon député au Parlement fédéral, et Mme Stéphanie Vallée, députée de Gatineau et ministre de la justice au Parlement québécois. À part ces deux personnes pour qui j’ai voté, aucune personne, qu’elle soit imam, activiste ou autre, n’a le droit de parler en mon nom ni prétendre me représente­r auprès des autorités ou de l’opinion publique québécoise ou canadienne.

Newspapers in French

Newspapers from Canada