Le Devoir

Un été aux accents hitchcocki­ens

- MARIE LABRECQUE

DOCILE Texte de Mélanie Maynard et Jonathan Racine. Mise en scène de Jonathan Racine. Jusqu’au 26 août, à la salle de spectacle 1000, chemin du Plan-Bouchard à Blainville.

Depuis 20 ans, le Petit Théâtre du Nord se targue de sa diversité créative. Il n’y a en effet pas grandchose de commun entre sa nouvelle production et celles qui l’ont précédée ces dernières années. Les auteurs de La Grande Sortie, Mélanie Maynard et Jonathan Racine explorent eux-mêmes un registre entièremen­t différent avec Docile. Même si leur sens de la réplique assassine y est en valeur, le spectacle se rapproche davantage, disons, de l’univers de Daphne Du Maurier que d’une comédie estivale typique.

La pièce se situe dans les années 1960, cette ère de transforma­tion sociale, notamment pour les femmes. Un photograph­e (Sébastien Gauthier) débarque à New York après qu’une réputée compagnie de produits de beauté lui ait fait miroiter un emploi. Mais il apparaît bien vite que le propriétai­re de la firme s’intéresse d’abord à l’épouse dévouée (Louise Cardinal) de Jacques. Au grand dépit de ce dernier. Ann, qui avait « perdu son identité en se mariant» apprend-on à travers des extraits narrés de son autobiogra­phie, s’émancipe donc peu à peu. Mais les apparences peuvent être trompeuses…

L’utilisatio­n de l’envoûtante musique composée par Bernard Herrmann pour Vertigo — au sein d’une trame sonore judicieuse­ment choisie par le metteur en scène Jonathan Racine — n’est pas innocente: sans vendre le punch, il est question dans ce suspense aux clins d’oeil hitchcocki­ens de fabricatio­n d’une image, d’illusion et, ultimement, de manipulati­on. D’une industrie, aussi, qui façonne et exploite l’apparence des femmes. Sous la séduction purement… cosmétique du rêve qu’elle vend, cette entreprise cache une réalité bien plus sombre.

L’intrigue est habilement tissée. Mais la pièce tient d’abord et surtout au mystère qui enveloppe son récit, et à l’atmosphère vaguement inquiétant­e qu’elle entretient. D’autant que l’univers visuel et sonore du spectacle, où transpire fortement l’influence du cinéma, est particuliè­rement soigné. Dans le décor aux tonalités de gris signé David Ouellet, un appartemen­t qui s’ouvre sur un impression­nant panorama new-yorkais, la pénombre offerte par les éclairages d’Ariane Roy, les costumes et perruques métamorpho­sant les actrices : tout concourt à la création de l’ambiance et à la reconstitu­tion d’époque.

Autour d’une Louise Cardinal pleine de fraîcheur et de vulnérabil­ité, s’agitent des personnage­s souvent savoureux. Et au premier chef la tyrannique belle-mère, jouissivem­ent caricatura­le, que campe l’irrésistib­le Danielle Proulx. En p.-d.g., l’étonnant JeanFranço­is Casabonne donne de la chair à un monstre d’égocentris­me et de machisme mal dégrossi. Mélanie Saint-Laurent rend son étrange gouvernant­e curieuseme­nt touchante. Et Luc Bourgeois, suave en directeur artistique, manie parfaiteme­nt ses répliques tranchante­s.

Encore une fois, le — court — voyage à Blainville vaut donc le détour.

 ?? FRANÇOIS LARIVIÈRE ?? Docile aborde entre autres la question d’une industrie qui façonne et exploite l’apparence des femmes.
FRANÇOIS LARIVIÈRE Docile aborde entre autres la question d’une industrie qui façonne et exploite l’apparence des femmes.

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