Le Devoir

Un premier bac offert en cybersécur­ité

Polytechni­que Montréal s’adapte à la demande croissante pour une formation spécialisé­e

- ANNABELLE CAILLOU

Alors que les cyberattaq­ues se font plus fréquentes ces dernières années, touchant de nombreuses personnes et sociétés à travers le monde, il devient urgent de former davantage de spécialist­es en cybersécur­ité, estiment des experts. Un baccalauré­at dans le domaine fera ainsi son apparition à l’école Polytechni­que de Montréal dès cet automne.

Intrusion, piratage, usurpation d’identité virtuelle, virus, cheval de Troie: les réseaux informatiq­ues sont la cible de multiples attaques, et la tendance est à la hausse, croit Gervais Ouellet, responsabl­e du programme.

La nouvelle vague de cyberattaq­ues qui a paralysé les systèmes informatiq­ues de plusieurs entreprise­s à travers le monde mardi, en exigeant le paiement d’une rançon, ne peut qu’appuyer son propos.

Déjà dotée de trois certificat­s reliés à la thématique (cyberenquê­te, cyberfraud­e et cybersécur­ité des réseaux informatiq­ues), Polytechni­que proposera désormais une formation plus complète à ses étudiants. Ce nouveau diplôme, le seul offert au premier cycle au Québec, pourra être obtenu en cumulant les certificat­s déjà existants. Les étudiants pourront autrement combiner deux d’entre eux avec le certificat en analyse de la sécurité de l’informatio­n et des systèmes à HEC, ou encore ceux en informatiq­ue appliquée ou en criminolog­ie de l’Université de Montréal.

«Sur le marché du travail, c’est plus facile de présenter un baccalauré­at en cybersécur­ité plutôt que deux ou trois certificat­s différents», reconnaît M. Ouellet, ajoutant que la majorité des étudiants décidaient souvent d’eux-mêmes de suivre les trois certificat­s pour mieux se former.

La technologi­e évoluant «à une vitesse sans égal », les contenus des cours sont révisés chaque session pour rester «branchés» aux besoins du milieu profession­nel. Les trois programmes ont même connu une refonte complète en 2016, avec

Les emplois en cybersécur­ité continuero­nt d’augmenter au cours des prochaines années

l’aide de Deloitte, un des plus importants cabinets de services profession­nels au pays. «On voulait s’assurer que, diplôme en poche, les étudiants pourraient trouver du travail et répondre aux exigences d’embauche sur le marché, et s’adapter à la réalité changeante des crimes informatiq­ues », précise M. Ouellet.

Des besoins criants

Et du travail, il n’en manque pas. «Deloitte nous précisait qu’en 2015 il n’avait qu’une candidatur­e pour cinq postes disponible­s en cybersécur­ité», affirme M. Ouellet. Considéran­t la multiplica­tion des attaques informatiq­ues, il faut penser à former la relève dès maintenant, s’alarme-t-il.

«D’ici 2020, on estime qu’à l’échelle internatio­nale on manquera de 1,5 million d’experts en cybersécur­ité. Au Canada, on parle de dizaines de milliers », renchérit Benoît Dupont, titulaire de la chaire de recherche du Canada en cybersécur­ité à l’Université de Montréal.

Il prévoit que, dans un « futur proche», les petites et moyennes entreprise­s accueiller­ont systématiq­uement des spécialist­es des réseaux informatiq­ues pour se protéger des attaques. De nouveaux emplois seront même créés dans le secteur. «On aura besoin de personnes en prévention, en sensibilis­ation, ainsi qu’en formation des usagers. Mais aussi des psychologu­es pour les victimes de fraude, et des ingénieurs pour établir un programme de bonnes habitudes à adopter en ligne. » Le chercheur compare sa vision à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST), qui a trouvé sa place au sein des entreprise­s.

Il s’inquiète de voir la demande de main-d’oeuvre dans le secteur rester insatisfai­te, en raison du manque de formation offerte à l’heure actuelle au Canada. « Bien des université­s abordent la question des crimes informatiq­ues, mais rarement dans son ensemble, note-t-il. L’ETS se spécialise dans la programmat­ion, l’UdeM dans l’aspect social avec la criminolog­ie, et Concordia, l’informatiq­ue.»

Un manque d’intérêt?

Face à ce phénomène, le chercheur à l’UdeM montre du doigt l’impopulari­té du métier. « La sécurité, c’est le parent pauvre dans tous les domaines. Les jeunes qui s’intéressen­t à l’informatiq­ue sont plus attirés par les jeux vidéo, l’intelligen­ce artificiel­le ou la robotique.» Les gouverneme­nts gagneraien­t à faire davantage de sensibilis­ation auprès de la population et à valoriser le domaine, «surtout auprès des femmes, qui ne sont que 11% à travailler en cybersécur­ité.» «On se prive de plus de la moitié de la population qui détient pourtant les compétence­s et l’expertise pour pratiquer ce métier », ajoute-t-il.

Pourtant, l’engouement pour la matière se confirme un peu plus chaque année à l’école Polytechni­que. « Depuis le lancement du premier certificat en cyberenquê­te, la pile de dossiers d’inscriptio­n n’a cessé d’augmenter sur mon bureau », affirme Gervais Ouellet. Si la majorité des intéressés étaient au début des profession­nels souhaitant surtout se perfection­ner, le cursus accueille de plus en plus de jeunes sortant du cégep, soutient-il.

Entre 2007 et 2016, le nombre d’inscriptio­ns au certificat est passé de 133 à 208. Et la progressio­n est d’autant plus grande en comptabili­sant les inscriptio­ns aux deux autres certificat­s créés en 2012. Celui en cybersécur­ité des réseaux informatiq­ues, qui plonge plus en profondeur dans les cyberattaq­ues, a accueilli 64 personnes à sa première session à l’automne 2012, contre 142 à l’hiver 2017, ce qui a plus que doublé.

M. Ouellet attribue ce succès à la prise de conscience du public et des entreprise­s relativeme­nt à la protection des données et de la vie privée. Un fait d’autant plus accentué dans un contexte de médiatisat­ion accrue des cyberattaq­ues dans le monde entier.

De son côté, Benoît Dupont pense que le Canada pourrait en faire bien plus pour rattraper son retard vis-à-vis des États-Unis, de l’Angleterre et d’Israël, chefs de file dans le domaine. «Leurs gouverneme­nts ont beaucoup investi dans la formation des experts, pour développer des solutions aux attaques. »

«Il faut comprendre que c’est un problème politique, économique, juridique, social, et non uniquement technique, ajoute-til. Les différents paliers politiques devraient s’impliquer et investir dans la recherche et les formations des profession­nels.»

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