Le Devoir

Déjouer la mémoire pour traiter l’anxiété

Des équipes de McGill et de Columbia décryptent une partie des secrets des souvenirs

- ISABELLE PARÉ

Des chercheurs des université­s Columbia et McGill ont uni leurs forces pour mieux comprendre comment le cerveau emmagasine les souvenirs et découvert un mécanisme d’encodage de la mémoire susceptibl­e d’aider un jour les personnes victimes de troubles anxieux ou post-traumatiqu­es.

Dans la foulée, ces équipes de recherche ont réussi à bloquer chez des animaux de laboratoir­e la résurgence de certains souvenirs néfastes en inhibant certaines molécules, tout en laissant intacts d’autres souvenirs plus utiles. Ces travaux conjoints ont permis de lever le voile sur la façon dont les neurones encodent les événements douloureux en utilisant des molécules et des mécanismes différents, selon les types de souvenirs.

Traces traumatiqu­es

On sait que des événements traumatisa­nts comme un viol, une agression ou un accident s’ancrent dans la mémoire des individus et y laissent parfois de graves séquelles, notamment des phobies et diverses pathologie­s se déclenchan­t de façon aléatoire. Sans qu’on sache trop pourquoi, la mémoire enregistre durant les traumatism­es vécus certaines informatio­ns secondaire­s qui sont ensuite encodées dans le cerveau et peuvent faire rejaillir des symptômes physiques d’anxiété, même quand l’individu ne fait plus face à de réelles situations traumatiqu­es.

Les travaux menés par les équipes de chercheurs du Neuro de Montréal et du Centre médical de l’Université Columbia ont permis d’observer qu’un même neurone utilise des molécules et des mécanismes différents pour imprimer dans le cerveau les souvenirs directemen­t liés à un traumatism­e, et ceux appelés les souvenirs « non associés », à l’origine de stress pathologiq­ues.

«Nous savons que la mémoire est augmentée [lors d’un traumatism­e] par la force des synapses, mais on pensait qu’un seul mécanisme était utilisé par un neurone. Dans cette recherche, nous avons observé et prouvé que différents types de molécules sont utilisés par un même neurone pour induire différents types de mémoire», a expliqué mercredi Wayne Sossin, coauteur principal de l’étude et chercheur en biologie moléculair­e au Neuro, affilié à l’Université McGill.

Concrèteme­nt, l’étude publiée dans The Current Biology démontre que deux molécules distinctes entrent en jeu dans le stockage des souvenirs associés et des souvenirs «non associés». Cette découverte laisse poindre l’espoir qu’on puisse développer des agents pharmaceut­iques capables de cibler seulement les molécules en cause dans l’encodage des informatio­ns à l’origine de pathologie­s, sans effacer la mémoire des événements eux-mêmes.

Effacer les souvenirs

«La principale applicatio­n médicale [de cette découverte] serait d’effacer les souvenirs dus à la mémoire non associativ­e, ce qui pourrait avoir un impact sur des pathologie­s comme le syndrome de stress post-traumatiqu­e (SSPT). Mais notre objectif est à cette étape-ci est de continuer à fouiller en profondeur ces divers mécanismes de la mémoire», explique le chercheur montréalai­s, dont les recherches ont été menées en laboratoir­e sur l’Aplysia Californic­a, un mollusque de mer doté d’un système nerveux simple à manipuler.

Pour expliquer comment fonctionne la mémoire « non associée», le docteur et coauteur Samuel Schacher, de l’Université Columbia, a donné l’exemple d’une personne victime d’agression la nuit dans un quartier dangereux, dont la mémoire visuelle a enregistré par hasard la présence d’une boîte aux lettres pendant l’événement. «Cette personne peut ensuite développer une très grande nervosité quand elle veut utiliser une boîte aux lettres », explique-t-il, pour décrire ce souvenir «accidentel», générateur de stress inutile. Par contre, le souvenir de la peur vécue dans un endroit sombre au coeur d’un quartier risqué sera imprimé dans la mémoire «associée», qui encode, elle, des informatio­ns essentiell­es et utiles à la suite d’expérience­s vécues.

Des médicament­s imparfaits

Il existe déjà quelques médicament­s, utilisés lors de thérapies de reconsolid­ation de la mémoire, pour «effacer» les souvenirs à l’origine de symptômes pathologiq­ues. Le Dr Alain Brunet, psychiatre québécois, étudie notamment avec des médecins français la piste du Propranolo­l pour traiter des victimes d’attentats terroriste­s, souffrant de syndrome de stress post-traumatiqu­e. Mais ces recherches et d’autres faisant usage de médicament­s sont toujours considérée­s comme exploratoi­res et controvers­ées, puisque dans certains cas des pertes de mémoire «utile» ont été rapportées.

Selon le Dr Sossin, ces découverte­s sur la consolidat­ion des différents types de mémoire prouvent qu’il faut poursuivre les recherches fondamenta­les en ce sens. Son équipe tentera d’abord de recréer cette expérience sur des souris de laboratoir­e, avant que soient lancées des recherches chez l’humain dans un futur encore lointain.

Pour l’instant, l’équipe du Neuro prévoit de poursuivre ses recherches, financées par les Instituts de recherche en santé du Canada, jusqu’en 2020. Les travaux parallèles menés par ses collègues de l’Université Columbia sont quant à eux financés par les prestigieu­x National Institutes of Health (NIH) des États-Unis.

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RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR La route sera encore longue, mais les recherches menées pourraient éventuelle­ment conduire à un traitement du syndrome de choc post-traumatiqu­e, dont peuvent être victimes des militaires de retour du champ de bataille ou encore des victimes de viol,...

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