Déjouer la mémoire pour traiter l’anxiété
Des équipes de McGill et de Columbia décryptent une partie des secrets des souvenirs
Des chercheurs des universités Columbia et McGill ont uni leurs forces pour mieux comprendre comment le cerveau emmagasine les souvenirs et découvert un mécanisme d’encodage de la mémoire susceptible d’aider un jour les personnes victimes de troubles anxieux ou post-traumatiques.
Dans la foulée, ces équipes de recherche ont réussi à bloquer chez des animaux de laboratoire la résurgence de certains souvenirs néfastes en inhibant certaines molécules, tout en laissant intacts d’autres souvenirs plus utiles. Ces travaux conjoints ont permis de lever le voile sur la façon dont les neurones encodent les événements douloureux en utilisant des molécules et des mécanismes différents, selon les types de souvenirs.
Traces traumatiques
On sait que des événements traumatisants comme un viol, une agression ou un accident s’ancrent dans la mémoire des individus et y laissent parfois de graves séquelles, notamment des phobies et diverses pathologies se déclenchant de façon aléatoire. Sans qu’on sache trop pourquoi, la mémoire enregistre durant les traumatismes vécus certaines informations secondaires qui sont ensuite encodées dans le cerveau et peuvent faire rejaillir des symptômes physiques d’anxiété, même quand l’individu ne fait plus face à de réelles situations traumatiques.
Les travaux menés par les équipes de chercheurs du Neuro de Montréal et du Centre médical de l’Université Columbia ont permis d’observer qu’un même neurone utilise des molécules et des mécanismes différents pour imprimer dans le cerveau les souvenirs directement liés à un traumatisme, et ceux appelés les souvenirs « non associés », à l’origine de stress pathologiques.
«Nous savons que la mémoire est augmentée [lors d’un traumatisme] par la force des synapses, mais on pensait qu’un seul mécanisme était utilisé par un neurone. Dans cette recherche, nous avons observé et prouvé que différents types de molécules sont utilisés par un même neurone pour induire différents types de mémoire», a expliqué mercredi Wayne Sossin, coauteur principal de l’étude et chercheur en biologie moléculaire au Neuro, affilié à l’Université McGill.
Concrètement, l’étude publiée dans The Current Biology démontre que deux molécules distinctes entrent en jeu dans le stockage des souvenirs associés et des souvenirs «non associés». Cette découverte laisse poindre l’espoir qu’on puisse développer des agents pharmaceutiques capables de cibler seulement les molécules en cause dans l’encodage des informations à l’origine de pathologies, sans effacer la mémoire des événements eux-mêmes.
Effacer les souvenirs
«La principale application médicale [de cette découverte] serait d’effacer les souvenirs dus à la mémoire non associative, ce qui pourrait avoir un impact sur des pathologies comme le syndrome de stress post-traumatique (SSPT). Mais notre objectif est à cette étape-ci est de continuer à fouiller en profondeur ces divers mécanismes de la mémoire», explique le chercheur montréalais, dont les recherches ont été menées en laboratoire sur l’Aplysia Californica, un mollusque de mer doté d’un système nerveux simple à manipuler.
Pour expliquer comment fonctionne la mémoire « non associée», le docteur et coauteur Samuel Schacher, de l’Université Columbia, a donné l’exemple d’une personne victime d’agression la nuit dans un quartier dangereux, dont la mémoire visuelle a enregistré par hasard la présence d’une boîte aux lettres pendant l’événement. «Cette personne peut ensuite développer une très grande nervosité quand elle veut utiliser une boîte aux lettres », explique-t-il, pour décrire ce souvenir «accidentel», générateur de stress inutile. Par contre, le souvenir de la peur vécue dans un endroit sombre au coeur d’un quartier risqué sera imprimé dans la mémoire «associée», qui encode, elle, des informations essentielles et utiles à la suite d’expériences vécues.
Des médicaments imparfaits
Il existe déjà quelques médicaments, utilisés lors de thérapies de reconsolidation de la mémoire, pour «effacer» les souvenirs à l’origine de symptômes pathologiques. Le Dr Alain Brunet, psychiatre québécois, étudie notamment avec des médecins français la piste du Propranolol pour traiter des victimes d’attentats terroristes, souffrant de syndrome de stress post-traumatique. Mais ces recherches et d’autres faisant usage de médicaments sont toujours considérées comme exploratoires et controversées, puisque dans certains cas des pertes de mémoire «utile» ont été rapportées.
Selon le Dr Sossin, ces découvertes sur la consolidation des différents types de mémoire prouvent qu’il faut poursuivre les recherches fondamentales en ce sens. Son équipe tentera d’abord de recréer cette expérience sur des souris de laboratoire, avant que soient lancées des recherches chez l’humain dans un futur encore lointain.
Pour l’instant, l’équipe du Neuro prévoit de poursuivre ses recherches, financées par les Instituts de recherche en santé du Canada, jusqu’en 2020. Les travaux parallèles menés par ses collègues de l’Université Columbia sont quant à eux financés par les prestigieux National Institutes of Health (NIH) des États-Unis.