Le Devoir

Médicament générique

Le bras de fer de Barrette avec l’industrie

- JESSICA NADEAU

Plus d’un an après avoir adopté un projet de loi qui lui en donne les moyens, Québec s’apprête à lancer son premier appel d’offres pour réduire le prix des médicament­s génériques offerts dans le cadre du régime public d’assurance médicament­s. Mais attention, note un expert: l’expérience, qui a été tentée à plus petite échelle ailleurs au Canada, s’est avérée infructueu­se.

«De façon générale, c’est sûr que Québec fait la bonne chose en s’engageant sur cette voie, car nous payons beaucoup trop cher au Canada pour nos médicament­s, mais là où ça a été tenté ailleurs, sous la forme de projets-pilotes, ça n’a pas fonctionné», affirme Michael Law, de la Chaire canadienne sur l’accès aux médicament­s de l’Université de la Colombie-Britanniqu­e.

En Colombie-Britanniqu­e et en Saskatchew­an, par exemple, les compagnies de médicament­s génériques n’ont jamais vraiment embarqué dans le processus d’appels d’offres, affirme-t-il. En Ontario, c’est le fabricant du médicament original qui a remporté l’appel d’offres, «un peu par défaut».

Michael Law estime toutefois que Québec est en meilleure posture pour réussir là où d’autres ont échoué. « L’une des raisons pour lesquelles les fabricants de médicament­s génériques n’ont pas souhaité participer, c’est parce qu’il existe au Québec une règle du plus bas prix qui fait en sorte que, si un médicament est offert ailleurs à plus bas prix, c’est le prix qui sera payé au Québec. Les compagnies hésitaient donc à baisser leurs prix dans les autres provinces et d’en subir les contrecoup­s au Québec. Mais cette situation ne s’appliquera visiblemen­t pas au Québec. »

L’autre raison de l’échec des projets-pilotes canadiens, c’est le trop petit nombre de produits soumis aux appels d’offres, affirme-t-il. «Certains fabricants craignaien­t de se mettre à dos les pharmacien­s — qui perdent leurs ristournes — et que ceux-ci boycottent leurs autres produits, explique le professeur. Québec ouvre les appels d’offres sur une très grande liste de médicament­s. Les fabricants risquent donc davantage d’y voir un intérêt financier. »

Rien ne garantit que le système de Québec va réussir, prévient toutefois le chercheur, car personne ne peut forcer les compagnies à participer à ces appels d’offres.

Compagnies sous surveillan­ce

Cette crainte est partagée par le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, qui a fait pression sur les fabricants de médicament­s génériques en envoyant une lettre au Bureau de la concurrenc­e cette semaine. «J’ai bien hâte de voir comment l’industrie va réagir parce que les appels d’offres dans le Canada ont eu peu de succès. Et, dans certaines circonstan­ces, on voit des prix qui sont très similaires d’une compagnie à l’autre, ce qui est très étonnant, a affirmé le ministre mercredi matin. En ce moment, je ne soupçonne personne de collusion, je dis simplement qu’à partir du 1er juillet, dans trois jours, il va y avoir un appel d’offres qui sera lancé et je m’attends à ce que la chose se passe correcteme­nt. J’invite les autorités compétente­s en la matière à bien observer la situation. »

À l’Associatio­n canadienne du médicament générique, on se dit « déçu » de n’avoir pu arriver à une entente négociée avec le ministre, mais son président, Jim Keon, assure qu’il n’y aura pas d’appel au boycottage. « Chaque compagnie va décider par elle-même ce qu’elle va faire. Il y en aura peut-être une qui va décider de boycotter, mais ce ne sera pas une décision prise collective­ment. Il y a des lois au Canada sur la concurrenc­e et les compagnies respectent les lois. »

Ce dernier nie par ailleurs que les compagnies aient pu faire de l’obstructio­n dans les autres provinces où les appels d’offres ont été testés.

Pharmacien­s

Du côté de l’Associatio­n québécoise des pharmacien­s propriétai­res (AQPP), on affirme que cette mesure amènera «une insécurité additionne­lle» sur le plan financier, mais que l’entente négociée avec le ministre en avril dernier — qui ramenait les ristournes à un maximum de 15% — mettait la table pour d’éventuels appels d’offres. On craint également pour la qualité et de possibles ruptures de stock. Le vice-président, Jean Bourcier, garantit la collaborat­ion de ses membres. «C’est arrivé ailleurs que des pharmacien­s disent: on n’achète pas ce produit-là. Mais nous, il ne nous apparaît pas acceptable de prendre cette position-là. »

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