Le Devoir

Quelle « communauté » musulmane ?

- ROBERT DUTRISAC

Au lendemain de l’arrestatio­n d’un Québécois, Amor Ftouhi, après qu’il eut poignardé un policier au Michigan, Philippe Couillard a lancé un appel à la «communauté musulmane» du Québec pour qu’elle assume la responsabi­lité de «dénoncer la perversion» de l’islam qui a conduit à un tel acte criminel. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ses propos ont été mal compris par cette prétendue communauté.

Àqui s’adressait Philippe Couillard au juste? À l’immigrant maghrébin qui a fui un régime autoritair­e et la tutelle religieuse? À l’imam dont le rôle est de diriger les prières et qui n’est pas une autorité religieuse puisque l’islam n’a pas de clergé? Ou encore aux activistes islamistes, présents au Québec, qui ont eu l’oreille de son gouverneme­nt à quelques occasions?

«Venir dire à de pauvres citoyens comme moi ou mes collègues que c’est notre responsabi­lité, je trouve ça injuste et inhumain », a livré au Devoir l’imam Hassan Guillet. Pour le président de l’Associatio­n des musulmans et des Arabes pour la laïcité au Québec, Haroun Bouazzi, la déclaratio­n du premier ministre stigmatise les musulmans et encourage un climat de suspicion à leur endroit.

Toujours dans nos pages, l’islamologu­e et politologu­e Noomane Raboudi s’est porté à la défense de Philippe Couillard en rappelant qu’il avait fait la différence entre l’islam et les dérives islamistes et que, oui, les actes de violence que le premier ministre a dénoncés sont faits au nom de l’islam; il revient aux musulmans de combattre l’idéologie islamiste qui s’exprime ici comme partout dans le monde.

Mais, à l’instar de bien des Québécois de confession musulmane, l’universita­ire s’insurge contre ce concept de communauté musulmane. Les immigrants musulmans viennent du Maghreb, de l’Iran, de l’Indonésie; ils peuvent être d’obédience chiite ou sunnite ou encore sans obédience du tout, trop heureux de pouvoir vivre leur foi, ou encore leur non-croyance, en toute liberté dans un État démocratiq­ue. D’aucuns parmi eux sont outrés de découvrir dans la société d’accueil une «“communauté musulmane” aux relents islamistes, aussi glauques et étouffants que celle qu’ils avaient fuie», comme le soulignait dans Le Devoir Mahmoud Mezhoud.

De fait, en s’adressant à cette prétendue communauté musulmane, Philippe Couillard fait le jeu des islamistes qui tentent justement de constituer au Québec une communauté qui pourrait soumettre à sa férule les musulmans. Il fait aussi le jeu de l’extrême droite — beaucoup moins présente ici qu’en Europe, devons-nous rappeler —, qui trouve bien commode cette notion de communauté, objet de son combat et de sa méfiance, voire de sa détestatio­n.

Philippe Couillard est imprégné d’une vision communauta­riste de la société. Déjà, quand il s’est porté candidat à la chefferie libérale, il plaidait pour une redéfiniti­on de l’identité québécoise où la communauté majoritair­e s’unirait aux autres communauté­s, sans les dominer. Il parlait alors de communauté­s culturelle­s, mais il parle maintenant de «communauté­s religieuse­s», une expression qu’il a employée dans son appel de la semaine dernière.

Or, nombre de musulmans de toutes origines établis au Québec veulent avant tout être considérés, au même titre que tous les Québécois, comme des citoyens à part entière représenté­s par leurs élus politiques. Non pas par des imams ou encore des porteparol­e autoprocla­més aux penchants islamistes. Mais c’est peutêtre une vision un peu trop laïque au goût de Philippe Couillard.

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