Le Devoir

Il faut favoriser les infrastruc­tures naturelles

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JÉRÔME DUPRAS Professeur au Départemen­t des sciences naturelles et chercheur à l’Institut des sciences de la forêt tempérée de l’Université du Québec en Outaouais

KAREL MAYRAND Directeur général pour le Québec de la Fondation David Suzuki et président de Réalité climatique Canada, organisme fondé par Al Gore

Les inondation­s du printemps 2017 ont eu l’effet d’un dur réveil pour plusieurs municipali­tés situées en bordure de grands cours d’eau du Québec, en plus de constituer un drame humain pour des milliers de sinistrés qui y ont perdu maison, terrains et souvenirs. Maintenant que l’eau s’est retirée et que la reconstruc­tion s’amorce, le temps est venu de réfléchir aux facteurs qui ont pu amplifier cette catastroph­e naturelle, et aux solutions qui pourraient en atténuer les impacts dans le futur.

Le Québec vient de vivre deux épisodes d’inondation­s historique­s en sept ans, provoqués par des chutes de neige abondantes, suivies de précipitat­ions records en période de crue printanièr­e, d’abord dans le bassin du Richelieu en 2011 (2535 résidences touchées; 82 millions de dollars de dommages), puis dans de nombreux bassins versants du nord du SaintLaure­nt en 2017. Ces inondation­s ont été aggravées notamment par le déboisemen­t, la perte de milieux humides et l’artificial­isation des berges.

Bien que les modèles climatique­s ne prévoient pas que les crues printanièr­es soient plus abondantes dans le futur, ils prédisent que les épisodes de fortes précipitat­ions seront plus fréquents et plus intenses que par le passé, provoquant des inondation­s éclair partout au Québec. En ce sens, les événements de 2011 et de 2017 sont porteurs de leçons pour l’avenir que nous aurions tort d’ignorer.

Changement­s climatique­s

À bien des égards, nous sommes déjà entrés dans l’ère des changement­s climatique­s. À l’échelle canadienne, les réclamatio­ns d’assurance sont passées d’une moyenne de 2,87 milliards de dollars par année en 1995-1999 à 5,72 milliards par année en 2010-2014.

Alors qu’elles ne représenta­ient que 20% des réclamatio­ns il y a vingt ans, les inondation­s en représente­nt aujourd’hui la moitié. Selon le Bureau de l’Assurance du Canada, les changement­s climatique­s sont responsabl­es du tiers des inondation­s, tandis que des infrastruc­tures désuètes de gestion des eaux pluviales en représente­nt les deux tiers.

En fait, les deux facteurs sont interrelié­s: les changement­s climatique­s augmentent la pression sur des réseaux d’infrastruc­tures désuets qui n’ont pas été conçus pour absorber de telles quantités d’eau. Cette pression accrue cause des refoulemen­ts d’égouts et des surverses d’eaux usées dans les cours d’eau.

Pour atténuer ce phénomène, il est nécessaire de rendre les infrastruc­tures de gestion des eaux pluviales plus performant­es, ce qui requerra des investisse­ments massifs. Mais on doit également réduire la pression sur ces mêmes infrastruc­tures par des investisse­ments dans les infrastruc­tures naturelles, c’est-à-dire par des aménagemen­ts urbains qui favorisent le verdisseme­nt et la protection ou la restaurati­on de milieux naturels, ces derniers agissant comme des éponges pour retenir l’eau de pluie et réduire le ruissellem­ent vers nos tuyaux surchargés.

La ville de New York a pris ce virage en 2010 et déclaré la guerre au ruissellem­ent. Son plan de 1,5 milliard de dollars est ambitieux : il vise à réduire de 3,8 milliards de gallons par année les surverses dans les eaux de l’Hudson et de l’East River, et à capter les eaux de pluie sur 10% de son territoire par des investisse­ments dans le verdisseme­nt urbain, le reboisemen­t et la régénérati­on de milieux humides.

Dans cette ville densément peuplée et dont la surface de béton et d’asphalte favorise le ruissellem­ent rapide, le plan prévoit le déploiemen­t de milliers de jardins de pluie et d’unités de drainage qui détournent l’eau de pluie le long des rues et des trottoirs.

Les villes du Québec sont en première ligne pour faire face aux impacts des changement­s climatique­s. Ce sont leurs infrastruc­tures, leurs population­s et leurs capacités d’interventi­on en matière de sécurité civile qui subiront la pression d’événements météorolog­iques extrêmes. Les investisse­ments dans les infrastruc­tures naturelles permettent de réduire cette pression en atténuant l’impact des vagues de chaleur comme des épisodes de fortes pluies.

Pistes de solution

Un sommet tenu il y a un an sous l’égide de la Communauté métropolit­aine de Montréal et de la Fondation David Suzuki a conclu que les infrastruc­tures naturelles constituai­ent une stratégie clé d’adaptation aux changement­s climatique­s. L’enjeu est de taille, et pour être en mesure de faire face aux impacts croissants des changement­s climatique­s dans les prochaines décennies, il faut dès maintenant commencer à investir en ce sens puisque ces aménagemen­ts demanderon­t du temps.

Dorénavant, il faut qu’aucune rue ni aucune infrastruc­ture ne soient reconstrui­tes à l’identique sans saisir les occasions de verdisseme­nt et d’adaptation qui sont créées par le renouvelle­ment de notre stock d’infrastruc­tures. On ne refait nos rues et nos infrastruc­tures qu’une fois par génération, il nous faut désormais aménager pour le climat de demain et non celui d’aujourd’hui.

Afin de répondre à ce défi, nous proposons trois pistes de solution. D’abord, que les municipali­tés se dotent de plans d’adaptation aux changement­s climatique­s qui incluent une planificat­ion et des investisse­ments dans leurs infrastruc­tures naturelles. Ensuite, que le gouverneme­nt du Québec soutienne financière­ment ces investisse­ments par l’entremise du Fonds vert, rejoignant ainsi le gouverneme­nt fédéral qui a accordé un financemen­t de 250 millions de dollars par année pendant cinq ans afin de soutenir des investisse­ments dans les écosystème­s qui constituen­t des infrastruc­tures naturelles.

Finalement, que le gouverneme­nt du Québec adopte une politique qui ferait en sorte que 1 % des investisse­ments publics en infrastruc­tures soient consacrés aux infrastruc­tures naturelles. En mettant en oeuvre dès maintenant ces trois solutions, le Québec tirerait profit d’un vieil adage: rien ne sert de courir, il faut partir à point.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Les inondation­s majeures des dernières années ont été aggravées notamment par le déboisemen­t, la perte de milieux humides et l’artificial­isation des berges.

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