Le Devoir

Le sort des Anglo-Québécois

- CHRISTOPHE­R NEAL Journalist­e et communicat­eur

On dirait que les AngloQuébé­cois se sont embellis. Les politicien­s cherchent à les courtiser. Il y a deux semaines, le premier ministre Philippe Couillard a annoncé que son gouverneme­nt établirait un secrétaria­t chargé de gérer les relations avec la minorité anglophone.

Sans surprise, cette nouvelle a été chaleureus­ement accueillie par le Quebec Community Groups Network, un réseau comprenant une cinquantai­ne de groupes anglophone­s québécois. Mais remarquons que le sentiment animant ce geste fut approuvé par Jean-François Lisée du Parti québécois et par François Legault de la Coalition avenir Québec. Tous deux ont saisi l’occasion pour faire valoir leur volonté de venir en aide aux Anglos, exprimant leur appui, et ce, en anglais, lors des points de presse de clôture de la session parlementa­ire.

Dernier cri

Tout à coup, les Anglos jouissent d’un statut «dernier cri» auprès de la classe politique québécoise. Les libéraux semblent vouloir renforcer l’appui que cette communauté leur a traditionn­ellement octroyé; sentent-ils que cette loyauté est désormais à risque?

M. Lisée a été élu chef du PQ avec l’engagement de ne pas tenir de référendum lors du premier mandat d’un éventuel gouverneme­nt péquiste. L’accent qu’il met sur son offre d’un gouverneme­nt compétent, vert, sans magouille et inclusif se veut rassembleu­r. Mettre en suspens la quête de l’indépendan­ce fait partie de cette approche et pourrait rassurer un certain nombre d’anglophone­s.

L’ouverture des partis d’opposition envers les Anglos survient après quelques erreurs de parcours du gouverneme­nt libéral qui en ont consterné plusieurs dans cette communauté. Les compressio­ns budgétaire­s dans le secteur de la santé ont provoqué une réduction des lits disponible­s et de plus longues attentes au McGill University Hospital Centre. Le projet de loi — retiré à la suite de critiques — qui visait l’éliminatio­n des commission­s scolaires élues a été vivement contesté par les anglophone­s, qui y voyaient une menace à la survie de l’éducation en anglais au Québec.

Ce qui nous amène à l’enjeu des écoles de langue anglaise, où le nombre d’élèves ne cesse de chuter, surtout au niveau secondaire, et provoque à son tour la fermeture d’écoles. À travers le Québec, le nombre d’élèves inscrits dans les écoles secondaire­s anglaises a baissé de 13,3% depuis quatre ans, soit de 39 244 élèves en 2012 à 34 023 en 2016. Pendant la même période, l’inscriptio­n dans les écoles élémentair­es anglaises s’est maintenue au même niveau d’environ 48 000, ce qui indiquerai­t que de nombreux élèves anglophone­s choisissen­t de passer au système scolaire francophon­e au niveau secondaire. Les statistiqu­es le confirment: en 2013, 12% des anglophone­s admissible­s à l’école anglaise ont choisi de fréquenter l’école française.

Exode

L’origine de ce déclin, bien sûr, se trouve dans l’exode du Québec de quelque 200 000 anglophone­s depuis les années 1970. Ce mouvement s’est produit à la suite de l’arrivée au pouvoir du Parti québécois en 1976, avec son projet d’indépendan­ce ainsi que sa Charte de la langue française, la loi 101. Cette dernière a eu l’effet visé, soit la promotion d’un Québec plus français que jamais. Les anglophone­s qui y sont restés, ou plutôt qui sont nés depuis les années 1970, sont pour la plupart assez bien francisés.

Existe-t-il encore des anglophone­s unilingues au Québec? Oui, mais ce sont surtout les aînés qui se trouvent aujourd’hui souvent marginalis­és. La majorité de ces Anglos, pourvu qu’ils soient adaptés à la réalité d’un Québec incontesta­blement francophon­e, conservent un attachemen­t au Canada. Cela fait partie de leur identité, au point que la plupart ne voteraient jamais pour une formation politique qui remet l’unité du pays en question.

Cette nouvelle ouverture aux Anglos de la part des politicien­s serait-elle l’indice d’un changement dans le climat politique ? L’attache- ment au Canada ainsi qu’un intérêt accru pour l’apprentiss­age de l’anglais sembleraie­nt plus répandus chez les jeunes Québécois francophon­es que parmi leurs aînés. Si ce n’était pas le cas, pourquoi donc le PQ aurait-il écarté sa raison d’être, même de façon temporaire ?

L’anglais, un outil

Pour la génération née à l’ère de l’Internet et de la mondialisa­tion, l’anglais n’est qu’un outil donnant accès à un ensemble plus grand de boulots, d’occasions en affaires et en formations. Apprendre l’anglais, c’est comme apprendre à conduire une voiture: on en récolte une gamme d’options plus vaste en conséquenc­e.

Les jeunes parents francophon­es qui voudraient exposer leurs enfants à l’anglais doivent composer avec la loi interdisan­t l’inscriptio­n de ces enfants à l’école anglaise. Certains choisissen­t donc la prématerne­lle en anglais ou, à l’autre bout du chemin, le cégep anglophone. Entretemps, bon nombre de parents anglophone­s — ceux qui ont fait leurs études en anglais au Canada — se trouvent privilégié­s en ayant le droit de choisir. Ils en profitent, combinant l’école élémentair­e en anglais avec l’école secondaire en français.

La crise existentie­lle que vivent les écoles secondaire­s anglophone­s pourrait se résoudre tout en profitant aux parents francophon­es voulant que leurs enfants connaissen­t l’anglais. Il s’agit d’abolir le règlement interdisan­t aux parents francophon­es d’envoyer leurs enfants aux écoles anglaises.

Cette réforme aura l’effet d’étendre aux Québécois francophon­es le droit au libre-choix dont jouissent déjà les anglophone­s, tout en assurant l’avenir du système scolaire de langue anglaise au Québec. Les jeunes francophon­es de familles à revenus moyens en profiterai­ent pour apprendre l’anglais de façon rigoureuse, sans avoir à payer les frais de l’école privée. Rappelons que l’éducation à l’école anglaise comprend une forte proportion de cours en français, son but étant de produire des diplômés bilingues.

Les politicien­s de plusieurs tendances ont fait valoir leur prise de conscience du fait que la communauté anglophone du Québec est à risque. En effet, devant la décroissan­ce de l’inscriptio­n dans ses écoles publiques, son avenir semble sombre.

L’ouverture d’un certain nombre de places dans ces écoles aux Québécois francophon­es qui veulent s’en servir permettrai­t de jeter les bases d’un rapprochem­ent entre nos deux communauté­s linguistiq­ues. Quarante ans après la loi 101, ne serait-il pas le temps de reconnaîtr­e que la sécurité du français au Québec n’est pas menacée par le fait qu’un certain nombre de Québécois francophon­es apprennent l’anglais comme deuxième langue ?

Cette nouvelle ouverture aux Anglos de la part des politicien­s serait-elle l’indice d’un changement dans le climat politique ?

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