Le Devoir

Le Centre national des arts fait peau neuve

Le bâtiment en béton brut se dote d’un hall entièremen­t vitré

- JÉRÔME DELGADO

Un bâtiment en béton, solide comme du roc et tourné vers lui-même depuis 50 ans peut-il devenir un lieu ouvert, accessible et presque mouvant? On en rêvait à Ottawa, et ce rêve deviendra réalité samedi, comme cadeau du 1er juillet. On procédera alors à l’inaugurati­on du nouveau Centre national des arts (CNA), transformé et agrandi par l’apparition notable d’un hall tout vitré.

Depuis sa constructi­on en 1969, le CNA avait mauvaise mine. Et triste réputation: celle d’une forteresse plutôt inaccessib­le. La faute à un aménagemen­t urbain non achevé plutôt qu’à son architecte, Fred David Lebensold, du consortium ARCOP — le pavillon du lac aux Castors, sur le mont Royal, et la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts sont parmi les premiers projets de ces Architecte­s en copartenar­iat.

«Le bâtiment a de grandes qualités, mais aussi quelques problèmes. Quand les gens venaient au CNA, par exemple, ils cherchaien­t l’entrée principale. Personne ne savait où elle se trouvait », note Donald Schmitt, l’architecte en chef de la firme torontoise Diamond Schmitt Architects, choisie lors d’un concours en 2011 pour rénover l’édifice.

Conçu pour intégrer une grande place dotée d’une marina autour du canal Rideau, projet qui n’a jamais vu le jour, le bâtiment de Lebensold est un digne représenta­nt du brutalisme, style clé des années 1950 et 1960 et inspiré des travaux du pape moderniste Le Corbusier. Du béton brut, des formes simples, répétées, des murs sans fioritures…

Sans un environnem­ent adéquat, le CNA écope et son côté austère ressort. On cherche sa porte — quelque part autour des rues Elgin et Albert, loin du canal. On le juge peu attrayant… Malgré sa désignatio­n comme lieu historique, en 2006.

«Nous changeons le centre de gravité de l’édifice. Plutôt que de tourner le dos à la capitale nationale et au canal, il leur fait face. Plutôt que d’être un endroit sombre, il sera chaleureux et accueillan­t », commente le président et chef de la direction du CNA, Peter Herrndorf, principal artisan de ce rêve depuis l’an 2000.

Soutenu deux fois plutôt qu’une par le gouverneme­nt fédéral — les conservate­urs de Stephen Harper lui ont attribué 110,5 millions, les libéraux de Justin Trudeau, 114,9 millions, destinés à renouveler les équipement­s de production —, le projet est considéré comme le plus important investisse­ment en infrastruc­tures culturelle­s réalisé dans le cadre du 150e anniversai­re de la Confédérat­ion canadienne.

Plus accessible

«On donne au bâtiment une nouvelle identité, ancrée plus que jamais dans la ville. Mais on l’aime, on ne se bat pas contre lui, on le célèbre», insiste Jennifer Mallard, de Diamond Schmitt Architects, lors d’une visite de presse du chantier en mai. Dans le nouveau hall qu’elle a qualifié de « living-room d’Ottawa », elle défend l’agrandisse­ment comme un ajout respectueu­x, fait «avec des matériaux transparen­ts et légers, plutôt que lourds et opaques».

L’agrandisse­ment du CNA, d’une aire totale de 5500 mètres carrés, repose sur un atrium en trois étages. Ouvert et accessible en tout temps, il est l’emblème de la philosophi­e qui prend désormais place dans l’établissem­ent voué aux arts de la scène. L’opération rajeunisse­ment permet aussi de rendre plus conviviaux certains espaces existants, notamment la salle principale, Southam Hall, et la Quatrième Salle.

«Le CNA ne sera plus seulement accessible aux gens qui se procurent un billet, note le grand patron, Peter Herrndorf. Il était exclusif, il sera inclusif, pour tout le monde, y compris les mères qui viendront avec une poussette écouter de la musique.»

Avec son grand escalier en guise d’estrade, le nouveau hall sera constammen­t animé, promet-on, de spectacles gratuits et diversifié­s. Peter Herrndorf ne garantit pas que les prix des billets pour la programmat­ion en salle, eux, ne monteront pas. Mais il assure que les «gens ordinaires » pourront se procurer de bons sièges devant l’orchestre.

«Venir au CNA sera un bien meilleur deal qu’aller au centre Bell de Montréal ou au Rogers Center de Toronto. Si les gens considèren­t que nos tarifs sont trop élevés, qu’ils ne soient pas gênés de nous le dire», dit-il.

Pas juste une façade

La grande paroi vitrée, composante la plus onéreuse du « Projet de renouvelle­ment architectu­ral», avec ses 15,7 millions, est le trait distinctif de l’opération. D’une des nombreuses salles aménagées pour des réceptions privées, il sera même possible de contempler la colline du Parlement, le Château Laurier et l’ancienne gare, aujourd’hui centre de conférence­s du gouverneme­nt.

La nouvelle architectu­re sera aussi marquée par une lanterne, à la fois phare dans la ville et surface de diffusion. Par le biais de quatre parois dotées d’écrans LED, il sera possible de voir, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, des spectacles, que ceux-ci aient lieu à Halifax ou à Vancouver.

Architectu­re de façade, retouche en superficie, ce projet de renouvelle­ment? Du tout, riposte son architecte principal. « Ce n’est pas qu’une façade, ce sont des espaces vivants que l’on propose, estime Donald Schmitt. Le CNA devient un symbole, il n’abrite pas seulement des salles. Il dit aussi qu’il se passe des choses importante­s à l’extérieur. »

Pour Peter Herrndorf, le CNA renouvelé comptera beaucoup pour Ottawa et pour tout le pays. «Il change fondamenta­lement la manière de voir la culture, il change la nature de la relation qu’un diffuseur a avec le public. Il est une plaque tournante», croit-il.

Point de convergenc­e, les arts canadiens de la scène? C’est ce qui semble animer le bâtiment dont la renaissanc­e se matérialis­era en ce 1er juillet 2017, fort en symboles.

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ROY GROGAN Vue sur le hall d’entrée du Centre national des arts

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