Le Devoir

Inquiétude­s autour du décret migratoire américain

Sa mise en applicatio­n suscite au Canada de nombreuses questions chez les communauté­s visées

- MARIE-LISE ROUSSEAU

La version allégée du controvers­é décret anti-immigratio­n du gouverneme­nt américain, qui touche les citoyens de six pays à majorité musulmane, est finalement entrée en vigueur jeudi soir à 20 h, heure de Montréal.

Bien que ses restrictio­ns ne doivent pas s’appliquer aux Canadiens ayant la double citoyennet­é ainsi qu’à ceux qui ont la résidence permanente, sa mise en applicatio­n suscite de nombreuses questions chez les communauté­s concernées.

Les citoyens d’Iran, de Libye, de Somalie, du Soudan, de Syrie et du Yémen se verront désormais refuser l’entrée au pays, à moins de prouver qu’ils ont une relation familiale ou d’affaire « valable » aux États-Unis. Ceux ayant obtenu leurs documents de voyage avant que la Cour suprême ne donne le feu vert à l’entrée en vigueur du décret, lundi dernier, ne devraient pas être affectés par la mesure.

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Je ne suis pas allée aux États-Unis depuis l’élection de Trump par crainte qu’on appose une étampe rouge dans mon passeport parce qu’il y est écrit “Née en Iran” Ronak Kordestani, de la galerie d’art montréalai­se Mekic

C’est pourquoi le Service des douanes et de la protection des frontières des ÉtatsUnis s’attend à ce que tout se déroule comme d’habitude aux postes frontalier­s, a fait savoir un porte-parole du service à Los Angeles au Devoir. À l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, aucun vol ne partait vers les États-Unis après 20 h jeudi.

« Nous sommes tout de même inquiets, parce que l’applicatio­n de la première mouture du décret [en janvier] avait été très mal gérée et des citoyens canadiens s’étaient retrouvés dans des situations fâcheuses», soutient le président du Congrès iranien du Canada, Bijan Ahmadi.

Détails attendus

Le ministère de l’Immigratio­n, des Réfugiés et de la Citoyennet­é du Canada attendait davantage de détails de la part des autorités américaine­s jeudi quant aux impacts de la mesure sur les résidents canadiens.

«Je peux vous dire qu’il y avait très peu de perturbati­on dans les aéroports canadiens lorsque [la deuxième mouture du] décret a été annoncé en mars », a déclaré par courriel le directeur des communicat­ions, Bernie Derible.

M. Ahmadi se montre particuliè­rement préoccupé par la notion de relation «valable» que devront démontrer les ressortiss­ants des six pays qui vivent au Canada et qui ne sont pas citoyens ou résidents permanents, comme les étudiants et les travailleu­rs temporaire­s.

«Le concept est flou, dit-il. Si un étudiant iranien au Canada veut participer à une conférence au sud de la frontière, estce qu’il va satisfaire les exigences de la Cour suprême?» s’interroge M. Ahmadi, qui souligne que cette mesure aura des impacts sur des milliers de personnes au pays.

L’ambassade des États-Unis au Canada n’a pas donné suite à nos appels jeudi.

Des impacts directs

La mise en applicatio­n du décret touche notamment la galerie d’art Mekic, située au Plateau-Mont-Royal, qui a la mission de diffuser les oeuvres d’artistes originaire­s du Proche et du Moyen-Orient. Après que la Cour suprême a restauré le décret lundi, elle n’a eu d’autre choix que d’annuler une exposition.

«L’artiste vit aux États-Unis avec un visa d’étudiante. Elle n’ose pas faire le voyage au Canada parce qu’elle a peur de ne pas être admise à son retour», explique la gérante adjointe de la galerie, Ronak Kordestani.

Citoyenne canadienne d’origine iranienne, Mme Kordestani redoute son prochain voyage au sud de la frontière, bien que le décret ne la concerne pas.

«Je ne suis pas allée aux États-Unis depuis l’élection de Trump par crainte qu’on appose une étampe rouge dans mon passeport parce qu’il y est écrit “Née en Iran” », raconte celle qui fait régulièrem­ent l’aller-retour dans le cadre de son travail.

Le directeur du Conseil syrocanadi­en de Montréal, Faisal Alazem, partage la même inquiétude. Ce Canadien d’origine syrienne constate que, depuis l’élection de Donald Trump en novembre 2016, la communauté syrienne évite de voyager au sud de la frontière.

«Je ne parle pas de ceux qui ont un statut de réfugié, je parle de citoyens canadiens qui, par malchance, sont nés à Damas, par exemple », affirme-t-il.

Bien que le décret ne vise pas les détenteurs d’un passeport canadien, il rappelle des cas médiatisés de citoyens qui se sont vu refuser l’entrée aux États-Unis l’hiver dernier en raison de leurs origines. Lui-même, dont une soeur vit à Los Angeles, craint d’y voyager.

«Il y a deux ans, je n’aurais même pas hésité une seconde. Maintenant, j’y réfléchis», souligne-t-il.

Selon M. Alazem, l’applicatio­n du décret ne fait que renforcer la méfiance déjà bien présente des Canadiens d’origine syrienne envers les ÉtatsUnis depuis l’élection de Donald Trump.

Rappelons que l’entrée en vigueur du décret est temporaire. Cette mesure censée prévenir l’arrivée de « terroriste­s étrangers» doit être examinée à l’automne.

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