Le Devoir

La politique culturelle manque de tonus

Le projet de politique culturelle du Québec est décevant. Rempli de bonnes intentions et de graves omissions, il aurait pu être écrit au siècle dernier.

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Il y a quelque chose qui cloche, sur la forme et sur le fond, dans le projet de politique culturelle dévoilé furtivemen­t mardi par le ministre de la Culture et des Communicat­ions, Luc Fortin. Sur la forme. La politique est passée de 150 pages en 1992 à 50 pages en 2017, alors que les enjeux et les défis propres au rayonnemen­t de la culture québécoise ont gagné en complexité au cours des 25 dernières années, gracieuset­é d’une prodigieus­e révolution numérique. Le ton déçoit. Le rapport semble écrit par un obscur technocrat­e pour qui le financemen­t et le rayonnemen­t de la culture se résument à une enfilade de partenaria­ts, de synergies, de hauts standards de qualité et même de gestion écorespons­able des activités de création et de production artistique­s.

Sur le fond. L’économie numérique occupe une place pratiqueme­nt confidenti­elle dans le rapport. Tous autant que nous sommes, nous devons « apprivoise­r la culture numérique et apprendre à maîtriser ses codes et sa technologi­e ». Ne cherchez pas des termes tels que «Facebook», «Google» ou «GAFA» dans ce document. Ils n’y figurent tout simplement pas.

«Les transforma­tions introduite­s par le numérique ont des effets considérab­les sur l’écosystème culturel. Nous devons demeurer vigilants et proactifs pour nous adapter à la nouvelle réalité», affirme le document. Tout un euphémisme.

Le document de réflexion, prélude à un forum national de deux jours cet automne, possède quelques qualités. La politique reconnaît la primauté du français « comme le socle sur lequel bâtir notre destinée commune», la nécessité d’accroître la diversité et la présence autochtone dans le paysage culturel québécois, de même que la valeur du patrimoine bâti. Un des arguments défendus par Le Devoir, lors des consultati­ons tenues l’an dernier par le ministre Fortin, trouve aussi son chemin dans le document. Les médias forment un maillon dans la chaîne de diffusion de la culture, en permettant la rencontre d’un créateur avec son public. L’implicatio­n accrue des philanthro­pes dans le financemen­t de la culture est intéressan­te, pour autant que la fiscalité soit modifiée en conséquenc­e.

La critique de l’opposition en matière de culture Agnès Maltais déplore néanmoins un document bourré « de généralité­s », « tourné vers le XXe siècle, plutôt que vers le XXIe ». Tout le problème est là. Au Québec, l’industrie culturelle et la création artistique ont pu prospérer grâce à un soutien étatique constant, de la création des écoles des beaux-arts dans les années 1920 jusqu’à la création du CALQ en 1994. Il ne pouvait en être autrement pour assurer l’affirmatio­n du caractère francophon­e du Québec.

Ce devoir d’État est tout aussi important aujourd’hui alors que l’économie numérique fait éclater les frontières et contribue à la circulatio­n effrénée des contenus anglophone­s. La politique manque de pugnacité à l’égard de la défense de la culture québécoise. Elle réaffirme l’importance que les créateurs d’ici puissent vivre de leurs oeuvres, tout en expédiant bien vite la réflexion sur le fait que la diffusion, la distributi­on et la monétisati­on des contenus reposent entre les mains d’oligopoles fondés sur la maîtrise de puissants algorithme­s.

La politique servira de base à un plan quinquenna­l par lequel le gouverneme­nt passera de la parole à l’action. Ce plan devra à la fois stimuler l’innovation et la création, tout en réaffirman­t, même à l’heure du numérique, le rôle de l’État comme un rempart pour l’essor de la culture québécoise.

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BRIAN MYLES

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