Le Devoir

La spécificit­é du Québec est un atout pour le Canada

- BENOÎT PELLETIER Professeur titulaire à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, exdéputé et ministre

L’origine consensuel­le de la fédération canadienne est d’une importance fondamenta­le pour en comprendre le sens et en saisir l’esprit. En effet, la naissance du Canada est indéniable­ment le fruit d’un compromis historique intervenu entre les représenta­nts des provinces maritimes, de l’Ontario et du Québec. À tout le moins, il s’agit du résultat d’un compromis entre les représenta­nts des provinces fondatrice­s : le CanadaUni, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse.

Ce sont les conférence­s de Charlottet­own et de Québec de 1864, et celle de Londres de 1866 qui ont permis au Canada de voir le jour. Ce pays est donc venu au monde par le fédéralism­e exécutif, c’est-àdire par des rencontres entre politicien­s. Et ces politicien­s étaient «canadiens » de surcroît.

De fait, les autorités britanniqu­es ne nous ont pas imposé une Constituti­on en 1867. Elles se sont plutôt pliées aux volontés de leurs colonies nord-américaine­s. Ces volontés se sont toutes trouvées confirmées dans l’Acte de l’Amérique du Nord britanniqu­e (1867), une loi du Parlement de Westminste­r qui a été sanctionné­e le 21 mars 1867 et qui est entrée en vigueur le 1er juillet 1867, soit il y aura bientôt 150 ans. Et c’est bel et bien une fédération, et non une confédérat­ion, qu’a instituée la loi de 1867.

Dans un État fédéral, c’est la Constituti­on qui partage explicitem­ent les matières relevant de la compétence législativ­e des ordres de gouverneme­nt en présence. Ce partage des pouvoirs législatif­s ne peut évidemment pas être modifié par un seul des ordres de gouverneme­nt en question ; pour modifier ce partage, il faut plutôt que chaque ordre de gouverneme­nt concerné y consente.

De plus, il appartient à des instances indépendan­tes, le plus souvent des tribunaux, d’interpréte­r et d’appliquer le partage des pouvoirs législatif­s et les autres dispositio­ns constituti­onnelles qui ont un caractère suprême ou formel dans l’État. En d’autres termes, les tribunaux se doivent de contrôler les bornes de la souveraine­té des deux ordres de gouverneme­nt.

Dominion

Bien qu’elle ait donné naissance à une fédération, comme nous l’avons dit ci-dessus, la loi de 1867 ne changea toutefois rien au fait que les provinces canadienne­s demeurèren­t des colonies britanniqu­es sur le plan juridique même après la fondation du lien canadien. Ainsi, pendant encore plusieurs années, ce fut le gouverneme­nt britanniqu­e qui représenta le Canada sur la scène internatio­nale et qui agit en son nom. De même, la loi de 1867 continua d’être modifiée par le Parlement londonien.

De plus, bien que le Statut de Westminste­r de 1931 eût accordé à l’État canadien sa souveraine­té étatique, la modificati­on de la Constituti­on canadienne resta pour sa part entre les mains du Parlement de Westminste­r, et ce, à la demande d’ailleurs des provinces canadienne­s, lesquelles craignaien­t à l’époque devoir faire les frais d’un quelconque «vide juridique». Toutefois, le Statut de Westminste­r prévoyait que de telles modificati­ons ne pouvaient être apportées à la Constituti­on du Canada qu’à la demande et avec le consenteme­nt du Dominion.

La question s’est donc rapidement posée de savoir quelle instance ou quelles instances pouvaient faire une telle demande au Parlement du Royaume-Uni au nom du «Dominion du Canada». En 1981, dans un renvoi, la Cour suprême en est venue à la conclusion que le Parlement canadien pouvait faire unilatéral­ement pareille demande à Londres en vertu du droit strict, et ce, même lorsque les modificati­ons demandées avaient un effet sur les relations fédérales-provincial­es ou sur les pouvoirs, droits ou privilèges des provinces. La Cour a toutefois ajouté que, dans ce dernier cas, pareille demande devait reposer sur un degré appréciabl­e de consenteme­nt provincial pour être conforme aux convention­s constituti­onnelles existantes.

Cela a perduré jusqu’au rapatrieme­nt de la Constituti­on canadienne, survenu en 1982. Plus concrèteme­nt, ce qu’on a appelé le «rapatrieme­nt», c’était l’abandon par le Parlement de Londres de son pouvoir de modifier les parties les plus substantie­lles de la Constituti­on canadienne.

Dénominate­ur commun

Somme toute, malgré le passage des années, on constate que la loi de 1867 a permis au Québec de préserver et de développer ses particular­ités en matière de langue, de culture, de religion et même de droit privé. En cela, peut-on dire de cette loi qu’elle s’est fondée sur le caractère national du Québec et qu’elle en a reconnu la valeur — quoiqu’indirectem­ent —, plutôt que de chercher à le battre en brèche et à le faire disparaîtr­e comme ce fut le cas avec l’Acte d’Union en 1840.

Certes, à l’intérieur du Canada, le Québec dispose d’une autonomie enviable, quoique celle-ci soit inférieure à celle qui découlerai­t du statut d’État souverain. Le fait d’appartenir à un grand ensemble comme le Canada comporte donc des inconvénie­nts, comme celui de n’offrir qu’un espace constituti­onnel restreint à chacun des États fédérés. Mais il comporte aussi de nombreux avantages, dont celui de partager des valeurs, principes et ressources avec un groupe humain animé par la recherche du plus grand dénominate­ur commun.

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