Le Devoir

Justin Trudeau et Robert Bourassa, même combat

- PAUL CLICHE Auteur du livre Pour réduire le déficit démocratiq­ue: le scrutin proportion­nel

Cette saga dure depuis un demi-siècle au Canada comme au Québec

À45 ans de distance, les premiers ministres libéraux Justin Trudeau et Robert Bourassa ont utilisé les mêmes arguments éculés pour justifier leur refus d’instaurer un mode de scrutin à finalité proportion­nelle. Quel exemple éloquent de stagnation politique. Il y a quelques jours, le premier ministre Trudeau a tenté de justifier, une nouvelle fois, le refus de son gouverneme­nt de respecter l’engagement que son parti avait pris, lors de la campagne de 2015, en promettant que ce serait la dernière élection tenue en vertu du système actuel, le scrutin majoritair­e à un tour. La représenta­tion proportion­nelle serait mauvaise pour notre pays, a-t-il dit en substance, parce qu’elle conduirait à la fragmentat­ion des grands partis politiques. (Entendons par là le libéral et le conser vateur.)

C’est le même argument dont s’était servi le premier ministre québécois Robert Bourassa, en 1972, alors qu’il avait opté pour une réforme de la carte électorale plutôt que pour l’instaurati­on d’un mode de scrutin proportion­nel.

Ayant mis sur pied un comité d’étude sur la réforme électorale, le premier ministre n’eut rien de plus pressé que de rencontrer ses membres pour leur dire qu’il ne leur servait à rien de recommande­r l’instaurati­on d’un scrutin à finalité proportion­nelle, car il s’y opposerait. Quant à la réforme de la carte électorale, visant à rendre égalitaire­s les votes des électeurs, elle a été mise en place à temps pour la tenue des élections de 1973. Mais, ô surprise, le nouveau découpage de la carte a produit les plus fortes distorsion­s de l’histoire du Québec. En effet, les libéraux ont obtenu 93% des députés avec 55% des votes, tandis que le Parti québécois a dû se contenter de 5,5 % des députés avec plus de 30% des votes. Par la suite, des tentatives d’instaurer un scrutin à finalité proportion­nelle ont échoué sous les gouverneme­nts Lévesque et Charest.

Cynisme

Par ailleurs, M. Trudeau a indiqué clairement, lors de sa dernière déclaratio­n, qu’il préférait l’adoption d’un scrutin préférenti­el depuis le début du débat sur la réforme électorale. Mais il ne s’en était pas ouvert durant la campagne électorale, non plus que pendant les six mois qu’a siégé, en 2016, le comité parlementa­ire multiparti­te sur la réforme électorale qui avait pour mandat d’étudier toutes les possibilit­és. Ce dernier a alors entendu quelque 1300 intervenan­ts qui se sont prononcés en forte majorité pour un scrutin proportion­nel mixte avec compensati­on.

On se demande maintenant pourquoi le premier ministre a donné l’impression que toutes les options étaient sur la table alors que son opinion était faite depuis longtemps. Cet épisode est une énième illustrati­on des raisons qui alimentent le cynisme des citoyens.

Cette saga de la réforme du mode de scrutin, qui dure depuis un demi-siècle au Canada comme au Québec, prouve une fois de plus que notre système démocratiq­ue restera bloqué aussi longtemps que la volonté populaire ne sera pas assez forte pour mettre au pouvoir, malgré les obstacles du système électoral en place, des formations politiques qui font passer l’intérêt commun avant leur intérêt partisan. Des partis aussi qui ne changent pas d’idée de façon opportunis­te lorsqu’ils prennent le pouvoir, comme on l’a vu à quelques reprises ces dernières décennies.

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FRED CHARTRAND ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE Lors des élections de 1973, le découpage de la carte électorale favorisé par Robert Bourassa a produit les plus fortes distorsion­s de l’histoire du Québec.

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