Un dialogue inattendu signé Nick Hamm
Ou imaginer ce qu’ont pu se dire les ténors des Troubles afin de résoudre le conflit
On croyait une réconciliation impossible entre factions catholique et protestante en Irlande du Nord. Puis, après des décennies de feu et de sang, voilà qu’un accord de paix fut entériné en 2007. Cela, c’est l’Histoire avec un grand H. Or, pour en arriver là, la petite histoire eut son rôle à jouer. Celle-ci prit la forme d’une rencontre secrète entre le catholique Martin McGuinness, député républicain et prétendument ancien ténor de l’IRA, et le protestant Ian Paisley, leader fondamentaliste du Parti démocrate. Avant ce jour du 26 mars 2007, les deux hommes, qui se vouaient une haine mutuelle, ne s’étaient jamais parlé. Le film The Journey, de Nick Hamm, relate un voyage inopiné qui vint tout changer.
« Mon souhait premier était de revenir sur cette relation très particulière, qui s’est avérée l’une des plus importantes de la politique contemporaine», explique Nick Hamm, un natif de Belfast qui grandit dans cette Irlande entredéchirée.
Organisée par l’Angleterre et supervisée par le MI-6, la rencontre au sommet eut lieu à St. Andrews, en Écosse. Les pourparlers achoppèrent rapidement. À un moment, il était convenu que Paisley s’envole pour Belfast afin d’y célébrer ses 50 ans de mariage. Ce que peu de gens savaient jusqu’ici, c’est que McGuinness fit tout le trajet avec lui.
« J’ai appris un jour que, pendant les trente dernières années du conflit, les politiciens irlandais des factions adverses voyageaient ensemble chaque fois qu’ils devaient se rendre à l’étranger. C’était surtout pour minimiser les risques d’attentat. Ce n’était pas une règle écrite, mais ils respectaient ce principe. Ils se retrouvaient donc sur les mêmes vols, mais ne s’adressaient pas la parole. Ils ne s’en vantaient pas afin de ne pas choquer leurs partisans respectifs. »
Réécrire l’histoire
Paisley et McGuinness effectuèrent le vol ensemble jusqu’à Belfast et nul ne connaît la teneur de leurs échanges, si échanges il y eut. Ce que l’on sait, en revanche, c’est que tout de suite après, ils paraphèrent l’Accord de St. Andrews, document clé dans la pacification subséquente en Irlande du Nord.
Cela dit, c’est durant un trajet en voiture jusqu’à l’aéroport d’Édimbourg que se déroule l’action de The Journey. Cela, tout comme les propos tenus par les deux politiciens, relève de la fiction.
«Je me demandais ce qu’ils avaient bien pu se dire pour que tout débloque si soudainement, juste après. C’est quand même extraordinaire. Quant au choix du décor, tourner tout le film dans un habitacle d’avion privé aurait été un cauchemar, en plus d’être inintéressant visuellement. »
La voiture permet à l’image de respirer, avec ses fenêtres sur le dehors. La caméra du cinéaste s’échappe d’ailleurs volontiers vers les superbes paysages alentour.
Road-movie politique
En soi, le face-à-face entre Paisley et McGuinness, avec tout ce qu’il représente de douleur et de rancoeur de part et d’autre du conflit nord-irlandais, était explosif dans sa nature même. Pourtant, c’est comme un film de chambre que Nick Hamm a conçu The Journey, qui consiste essentiellement en une joute verbale entre les deux protagonistes assis chacun à leur extrémité de la banquette arrière, campés chacun à leur extrémité d’idéologies en apparence irréconciliables.
Timothy Spall (M. Turner) et Colm Meaney (The Commitments) incarnent Paisley et McGuinness, respectivement.
«Ça me semblait plus fort de miser sur ce contraste. Ça devient une sorte de road-movie politique, ce qui me plaît assez. Réunir deux tempéraments aussi opposés dans un lieu fermé, puis les forcer à interagir, ça donne en outre une dynamique à la Odd Couple. Ces caractères dépareillés, c’est porteur d’humour. »
Ode au dialogue
Plutôt qu’un film sur le terrorisme, Nick Hamm envisageait une oeuvre sur le pouvoir fondamental du dialogue.
«C’est difficile de faire un film sur la paix. C’est bien plus facile d’en faire un sur la guerre. Même s’ils se détestaient, Paisley et McGuinness ont réussi à passer par-dessus ça et à aller au-delà de leurs propres circonscriptions et de leurs propres bases et ont accompli ensemble quelque chose qui a fait en sorte qu’après tout ce temps, les gens ont arrêté de s’entretuer. »
Ce «quelque chose» qu’ils ont accompli ensemble? Se parler.
Malgré la spécificité du contexte, Nick Hamm se dit convaincu de l’universalité de cette grande «petite» histoire là. « Tous les pays ont des politiciens qui ne peuvent pas se sentir », rappelle-t-il.