Le Devoir

Un dialogue inattendu signé Nick Hamm

Ou imaginer ce qu’ont pu se dire les ténors des Troubles afin de résoudre le conflit

- FRANÇOIS LÉVESQUE Le Devoir The Journey prend l’affiche le 7 juillet.

On croyait une réconcilia­tion impossible entre factions catholique et protestant­e en Irlande du Nord. Puis, après des décennies de feu et de sang, voilà qu’un accord de paix fut entériné en 2007. Cela, c’est l’Histoire avec un grand H. Or, pour en arriver là, la petite histoire eut son rôle à jouer. Celle-ci prit la forme d’une rencontre secrète entre le catholique Martin McGuinness, député républicai­n et prétendume­nt ancien ténor de l’IRA, et le protestant Ian Paisley, leader fondamenta­liste du Parti démocrate. Avant ce jour du 26 mars 2007, les deux hommes, qui se vouaient une haine mutuelle, ne s’étaient jamais parlé. Le film The Journey, de Nick Hamm, relate un voyage inopiné qui vint tout changer.

« Mon souhait premier était de revenir sur cette relation très particuliè­re, qui s’est avérée l’une des plus importante­s de la politique contempora­ine», explique Nick Hamm, un natif de Belfast qui grandit dans cette Irlande entredéchi­rée.

Organisée par l’Angleterre et supervisée par le MI-6, la rencontre au sommet eut lieu à St. Andrews, en Écosse. Les pourparler­s achoppèren­t rapidement. À un moment, il était convenu que Paisley s’envole pour Belfast afin d’y célébrer ses 50 ans de mariage. Ce que peu de gens savaient jusqu’ici, c’est que McGuinness fit tout le trajet avec lui.

« J’ai appris un jour que, pendant les trente dernières années du conflit, les politicien­s irlandais des factions adverses voyageaien­t ensemble chaque fois qu’ils devaient se rendre à l’étranger. C’était surtout pour minimiser les risques d’attentat. Ce n’était pas une règle écrite, mais ils respectaie­nt ce principe. Ils se retrouvaie­nt donc sur les mêmes vols, mais ne s’adressaien­t pas la parole. Ils ne s’en vantaient pas afin de ne pas choquer leurs partisans respectifs. »

Réécrire l’histoire

Paisley et McGuinness effectuère­nt le vol ensemble jusqu’à Belfast et nul ne connaît la teneur de leurs échanges, si échanges il y eut. Ce que l’on sait, en revanche, c’est que tout de suite après, ils paraphèren­t l’Accord de St. Andrews, document clé dans la pacificati­on subséquent­e en Irlande du Nord.

Cela dit, c’est durant un trajet en voiture jusqu’à l’aéroport d’Édimbourg que se déroule l’action de The Journey. Cela, tout comme les propos tenus par les deux politicien­s, relève de la fiction.

«Je me demandais ce qu’ils avaient bien pu se dire pour que tout débloque si soudaineme­nt, juste après. C’est quand même extraordin­aire. Quant au choix du décor, tourner tout le film dans un habitacle d’avion privé aurait été un cauchemar, en plus d’être inintéress­ant visuelleme­nt. »

La voiture permet à l’image de respirer, avec ses fenêtres sur le dehors. La caméra du cinéaste s’échappe d’ailleurs volontiers vers les superbes paysages alentour.

Road-movie politique

En soi, le face-à-face entre Paisley et McGuinness, avec tout ce qu’il représente de douleur et de rancoeur de part et d’autre du conflit nord-irlandais, était explosif dans sa nature même. Pourtant, c’est comme un film de chambre que Nick Hamm a conçu The Journey, qui consiste essentiell­ement en une joute verbale entre les deux protagonis­tes assis chacun à leur extrémité de la banquette arrière, campés chacun à leur extrémité d’idéologies en apparence irréconcil­iables.

Timothy Spall (M. Turner) et Colm Meaney (The Commitment­s) incarnent Paisley et McGuinness, respective­ment.

«Ça me semblait plus fort de miser sur ce contraste. Ça devient une sorte de road-movie politique, ce qui me plaît assez. Réunir deux tempéramen­ts aussi opposés dans un lieu fermé, puis les forcer à interagir, ça donne en outre une dynamique à la Odd Couple. Ces caractères dépareillé­s, c’est porteur d’humour. »

Ode au dialogue

Plutôt qu’un film sur le terrorisme, Nick Hamm envisageai­t une oeuvre sur le pouvoir fondamenta­l du dialogue.

«C’est difficile de faire un film sur la paix. C’est bien plus facile d’en faire un sur la guerre. Même s’ils se détestaien­t, Paisley et McGuinness ont réussi à passer par-dessus ça et à aller au-delà de leurs propres circonscri­ptions et de leurs propres bases et ont accompli ensemble quelque chose qui a fait en sorte qu’après tout ce temps, les gens ont arrêté de s’entretuer. »

Ce «quelque chose» qu’ils ont accompli ensemble? Se parler.

Malgré la spécificit­é du contexte, Nick Hamm se dit convaincu de l’universali­té de cette grande «petite» histoire là. « Tous les pays ont des politicien­s qui ne peuvent pas se sentir », rappelle-t-il.

 ??  ?? MÉTROPOLE FILMS Colm Meaney et Timothy Spall incarnent respective­ment Martin McGuinness et Ian Paisley dans The Journey, un road-movie politique.
MÉTROPOLE FILMS Colm Meaney et Timothy Spall incarnent respective­ment Martin McGuinness et Ian Paisley dans The Journey, un road-movie politique.
 ?? TIZIANA FABI AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Le réalisateu­r Nick Hamm, un natif de Belfast qui grandit dans cette Irlande entredéchi­rée
TIZIANA FABI AGENCE FRANCE-PRESSE Le réalisateu­r Nick Hamm, un natif de Belfast qui grandit dans cette Irlande entredéchi­rée

Newspapers in French

Newspapers from Canada