Le Devoir

Roberto Fonseca : le chemin de Cuba en sens inverse

- YVES BERNARD Collaborat­eur Le Devoir ROBERTO FONSECA Au Monument-National, dimanche 2 juillet à 20 h Renseignem­ents: 514 871-2224, admission.com

Un pied dans ses racines, un autre dans La Havane, sa ville bouillonna­nte, le pianiste Roberto Fonseca est de toutes les époques, du son au hip-hop. Après avoir accompagné les Ibrahim Ferrer ou Omara Portuondo et même remplacé Rubén González dans le célèbre Buena Vista Social Club, il fut de l’aventure de Havana Cultura avec DJ Gilles Peterson et la crème de la nouvelle génération havanaise, avant d’établir une connexion plus profonde avec la musique africaine. S’il est parvenu à élargir le spectre de la musique cubaine, le voici maintenant sur les chemins de son histoire. Ce dimanche, il s’amène en sextuor au Monument-National pour présenter plusieurs titres d’ABUC, son plus récent disque: ABUC pour Cuba en sens inverse.

Roberto Fonseca raconte: «J’ai voulu présenter ma vision de la musique de mon pays. C’est la première fois que je creuse aussi profondéme­nt làdedans. C’est un panorama de la musique cubaine depuis les débuts, jusqu’à la musique moderne. J’ai fait partie de plusieurs courants et j’aime mélanger les époques.»

La qualité exécrable de la ligne téléphoniq­ue depuis Cuba ne permettra toutefois pas d’explorer davantage son histoire personnell­e qui est très riche depuis une décennie. Dommage! On comprendra toutefois l’importance que Roberto Fonseca accorde au partage, ce qui explique la présence d’un grand nombre de musiciens sur ABUC : «Je vois la musique comme un point de rencontre de musiciens avec qui je peux converser. Les invités apportent des couleurs aux thèmes et je m’intéresse aux couleurs de chacun. »

Variété de couleurs

Les siennes sont particuliè­rement développée­s: le boléro, la guajira, la contradanz­a, la musique afro-cubaine et les rythmes carnavales­ques se côtoient comme s’ils s’étaient toujours fréquentés. On sent même des influences classiques et l’esprit de la santeria dont Fonseca est adepte. La pièce Tierra Santa le reflète. «Oui, je suis un santero. Cuba est ma terre sainte», dit-il fièrement et humblement. Tierra Santa révèle une effervesce­nce qui se développe en crescendo. Plus tard, on revient avec le titre Tierra Santa Santiago de Cuba, qui fait plonger la religion dans la folle fanfare de la rue. C’est aussi cela, l’esprit de partage. Enfin, Velas y Flores fait référence aux bougies et fleurs qui ornent l’autel de la religion afro-cubaine. Ici, Roberto Fonseca dit son histoire : « Je viens d’une famille humble. La lutte vient du mot “éduquer” », dit-il en substance. Il parle de défendre le folklore et de comprendre ce qu’ils furent, ses chers Cubains. Cela sur fond de percussion­s frénétique­s, de jazz et d’orgue, dans un esprit très urbain.

Un savant mélange

À l’instar de l’ensemble de l’oeuvre de Roberto Fonseca, la musique d’ABUC est à la fois élégante, accessible, souvent très mélodique, parfois exubérante et empreinte de spirituali­té. Le maestro entreprend la trajectoir­e avec Cubano Chant, un classique de 1956 de l’Américain Ray Bryant. Ici, tout y est déjà: les tambours, les cuivres jazz, le piano percussif et le son à l’ancienne. Ce traitement sonore se fera d’ailleurs souvent entendre, même si Fonseca insère parfois des touches électros pour bien signifier le mélange des génération­s.

Afro Mambo porte bien son nom avec ses décalages sonores, des bruits de vinyle aux onomatopée­s de tous genres. La chanson fait aussi entendre la chanteuse havanaise Daymé Arocena. Retenez bien ce nom! Il y a chez elle des flammèches électrisan­tes, qui arrivent en contraste avec la pièce suivante: Tumbao de la Unidad, un son avec Éliades Ochoa et sa musique des montagnes, évoluant vers une fusion avec la musique urbaine.

En dépit de la grande diversité du disque, Fonseca propose une forte signature d’une pièce à l’autre, ce qui facilite la trajectoir­e. Dans Contradanz­a del Espiritu, on sent toute l’élégance spirituell­e qui se dégage du piano avec un côté presque classique ponctué de percussion­s. Plus loin dans l’album, le maître invitera Rafael Lay Bravo et Roberto Espinosa Rodríguez, deux chanteurs d’Orquesta Aragón. Contrairem­ent aux réflexes habituels du fameux orchestre, on introduira un clavier bluesy. Agréable confusion des genres, légèreté, respect de famille élargie.

Cette famille qui est présentée sous son aspect le plus intime et le plus touchant dans Después alors que Mercedes Cortés Alfaro, la mère du compositeu­r, interprète une lente romance avec profondeur et tendresse. «Son importance pour moi vient du fait qu’elle m’a donné le droit de naître. Elle est le meilleur appui que j’aie eu dans ma vie », dit le fils reconnaiss­ant.

Quoi d’autre? Cette pièce avec le rappeur Alexey du groupe Obsesion, mélange de jazz et de beat de la cité, et cette finale qui offre une autre version de Cubano Chant avec le créateur qui se retrouve seul avec son piano. Pour terminer, on respire.

 ?? ARIEN CHANG ?? Le titre du nouvel album de Roberto Fonseca, ABUC, fait référence à son pays natal, Cuba, mais à l’envers.
ARIEN CHANG Le titre du nouvel album de Roberto Fonseca, ABUC, fait référence à son pays natal, Cuba, mais à l’envers.

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