Le Devoir

Revoir son rapport au paysage

Dans l’exposition À perte de vue, les rapports d’échelle sont au coeur de l’expérience

- JÉRÔME DELGADO à Gatineau Collaborat­eur Le Devoir

Ce qu’on construit est fragile et on se plaint quand la nature altère notre confort, alors que la nature, elle, s’adapte mieux à notre présence. L’artiste Graeme Patterson, natif de la Saskatchew­an et établi au Nouveau-Brunswick

Une fonderie à plateforme sportive et maintenant une galerie d’art, le temps de la saison chaude: un bâtiment industriel de Gatineau accueille une exposition qui propose de réévaluer nos rapports avec le paysage, que celui-ci soit naturel ou artificiel.

L’endroit est immense, aussi vaste que deux terrains de soccer (intérieur) et un troisième de basket. En réalité, l’ancien bâtiment industriel baptisé La Fonderie, propriété de la Ville de Gatineau, sert à ça: au soccer, au basket et à la pratique de neuf autres sports. Pour l’été, il a été converti en aire artistique. La Fonderie accueille l’exposition À perte de vue, pilotée par le centre d’artistes AXENÉO7 et inaugurée mercredi.

« Depuis longtemps, on rêvait de faire une exposition dans cet espace si unique», explique Stefan St-Laurent, directeur d’AXENÉO7. Il fallait un déclic et les artistes l’ont eu quand ils ont appris que le centre multisport­s n’ouvre jamais en période estivale. Il fait trop chaud à l’intérieur, faute d’une ventilatio­n adéquate, et puis, l’été, c’est fait pour jouer dehors.

À perte de vue ? Le titre ne pouvait mieux être choisi, tellement les oeuvres se perdent dans l’espace. De type installati­on, elles en imposent pourtant.

Leurs auteurs ne se sont pas privés pour investir l’endroit, titillant le toit et même, dans le cas de Graeme Patterson, artiste connu pour ses univers lilliputie­ns, déposant des pièces dans la tuyauterie du plafond.

Dans cette expo cherchant à évaluer nos liens avec la nature, les rapports d’échelle sont au coeur de l’expérience du visiteur.

On se sent tout petit. La Fonderie version AXENÉO7 nous fait revivre le choc des grandeurs vécu au début des années 2000 lorsqu’une ancienne aluminerie de Shawinigan est devenue un lieu satellite du Musée des beaux-arts du Canada. Depuis que cette Cité de l’énergie a laissé tomber l’art, on ne trouve plus rien de similaire au Québec.

Forêts et piscines

Le renverseme­nt d’échelle frappe d’emblée quand on foule le gazon synthétiqu­e d’un des terrains de foot. La forêt de structures verticales et colorées de Tout est fragile/Le perchis, oeuvre de Samuel RoyBois, impression­ne par le nombre de ses éléments (150) et leur hauteur. De loin, ils semblent si frêles. Pour l’artiste québécois expatrié en Colombie-Britanniqu­e, l’expo renverse aussi l’ordre des choses. «La forêt, c’était une idée vague que je voulais explorer, dit-il. Un terrain de soccer est un espace naturel domestiqué. Ici, il est placé à l’intérieur d’un objet construit.»

Les 2x4 qu’il a assemblés en arbres quelque peu instables ont été peints comme s’il s’agissait d’un paquet de crayons Prismacolo­r: à la fois pareils et différents. Suspendus ici et là, des « objets trouvés» donnent à sa forêt une image de lieu habité.

«On peut rêver, mais on ne fait pas que se perdre dans l’oeuvre, dit Samuel Roy-Bois. Les objets sont un rappel du banal, du quotidien. Avec lequel on peut faire plein de choses. »

Le rêve et le banal se confondent constammen­t dans À perte de vue. Parfois avec une dose de dégoût — et d’humour, bien sûr. C’est le cas de l’installati­on Piscine infinie de Graeme Patterson.

L’artiste natif de la Saskatchew­an, établi au NouveauBru­nswick, propose un tiercé de piscines hors terre, dont l’intérieur se compose de bassins donnant l’illusion de piscines creusées.

Or, ce paysage miniature, avec ses pans de gazon artificiel, n’est pas idyllique. L’usure suggérée des matériaux le place dans un état avancé d’abandon. Mieux, ou pire, c’est selon: des étourneaux haut perchés défèquent un liquide noir.

«Ce qu’on construit est fragile et on se plaint quand la nature altère notre confort, alors que la nature, elle, s’adapte mieux à notre présence. Comme les étourneaux », dit-il, à la fois sérieux et rieur.

Les neuf artistes et collectifs ont été invités à ne proposer que de l’inédit. Du Québec, Michel de Broin a scindé le terrain de foot en une série de territoire­s privés. Nadia Myre a dressé sur les fenêtres un subtil appel à en finir avec l’occupation des terres indigènes. Alexandre David propose une autre de ses précieuses plateforme­s en bois, inusitées et fonctionne­lles.

Séparés de La Fonderie par une voie ferrée, les espaces permanents d’AXENÉO7 occupent depuis 1983 les bureaux de la compagnie qui exploitait l’ancienne usine. Il faut s’y arrêter aussi: on y présente un des artistes d’À perte de vue, le photograph­e ottavien Justin Wonnacott.

La très longue série Images d’art aborde autrement les rapports d’échelle et au paysage (urbain, cette fois). Depuis 2001, Wonnacott photograph­ie toutes les traces d’art dans Ottawa et ses environs, Gatineau y compris.

Art public officiel, oeuvres monumental­es ou éphémères, graffitis, tout y est, au même niveau. Le territoire serait-il trop perçu comme une page blanche à noircir ? À PERTE DE VUE Une exposition d’AXENÉO7 à La Fonderie, 211, rue Montcalm à Gatineau. Ouvert du mercredi au dimanche, jusqu’au 30 août. Entrée libre.

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JONATHAN LORANGE AXENÉO7 Justin Wonnacott, vue partielle de la photograph­ie MosaïCanad­a, 2017, durant le vernissage de l’événement À perte de vue à AXENÉO7.
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JUSTIN WONNACOTT Wonnacott, 2012, photograph­ie, OEuvre d’art public de Chief James Hart, 2011.

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