Tourisme intérieur.
Visite de la nouvelle Salle de l’histoire canadienne au Musée canadien de l’histoire à Gatineau.
C’est par un long corridor de miroirs d’acier où se trouvent gravées 101 silhouettes différentes, toutes liées, explique-t-on, à des monuments canadiens, que l’on pénètre dans la nouvelle salle du Musée canadien de l’histoire à Gatineau. Tout en ellipses, cette «Salle de l’histoire canadienne», immense et imposante, a été dessinée par l’architecte d’origine amérindienne Douglas Cardinal.
Au-delà de ce qu’il présente du passé, un musée donne souvent une bonne idée du présent. Le formidable déploiement de cette exposition unique au Canada non seulement rend compte du passé de l’immense territoire que recouvre aujourd’hui cet État, mais il indique aussi une certaine conception de son actualité.
Après avoir parcouru ce long corridor miroitant, sorte de Galerie des glaces à la canadienne, on finit par déboucher sur un carrefour circulaire où se trouve ancrée au sol une représentation du pays vu des cieux. Il s’agit d’un Canada « sans les États-Unis », précise notre guide, en ajoutant que cet espace constitue une métaphore d’un lieu autochtone sacré situé à quelques minutes du musée. Le musée, précise Chantal Amyot, directrice de la nouvelle salle, se «trouve en territoire algonquin».
Sans pareil
De là, on va à sa guise vers l’une ou l’autre des quatre chapitres qui composent cette gigantesque exposition qui ouvrait ses portes au public le 1er juillet. Plus de 1500 artéfacts qui remontent à 15 000 ans, des tableaux interactifs, des reconstitutions de visages, des tableaux. On peut y passer des heures.
Les temps ont bien changé depuis la construction de ce musée rebaptisé à grands frais. Pour lancer ses travaux prémilitaires en 1983, le premier ministre Pierre Elliott Trudeau était arrivé sur le site en canot d’écorce, vêtu d’une veste de daim frangée, coiffé d’un chapeau mou à plume, arborant ainsi une identité autochtone de composition. Mais au Musée de la civilisation, l’exposition permanente débutait avec la présence européenne. La nouvelle salle qui ouvre ses portes présente au contraire 15 000 ans de présence humaine sur le territoire.
Une des pièces majeures de cette portion de l’exposition est sans conteste une fine sculpture en ivoire, vieille d’au moins 3600 ans. Elle montre un visage humain buriné, peut-être une représentation de tatouages qui ressemblent assez aux lignes des méridiens sur un globe terrestre.
On y trouve aussi une étonnante effigie inuite. Elle représente apparemment un Européen, vêtu d’un long vêtement flanqué d’une petite croix. Une trace, parmi d’autres, qui attesterait de la présence de Vikings sur le territoire aux environs de 1350.
Représentation
À partir de restes humains autochtones enfouis avec des milliers de perles décoratives, trois visages ont été recréés grâce à une technologie de pointe. Le résultat a d’abord été présenté aux descendants de ces communautés. On a aussi consulté les Amérindiens, insiste la direction du musée, pour la rédaction des textes et des différents outils interactifs de la nouvelle exposition.
On quitte cet espace des premiers peuples pour plonger dans les débuts du peuplement européen. Voici par exemple les faux diamants du Canada découverts par Martin Frobisher en 1576, qu’on a retrouvés figés dans un simple mur de pierres de l’Angleterre.
Voici de rares objets religieux venus de l’île d’Orléans. Voici encore les portraits d’intendants et de puissants. Voici aussi le symbole de ce nouvel enracinement: la généalogie d’une fille du Roy, Catherine Moitié, née en 1649, à qui l’on doit apparemment quelque 600 descendants. Ceux-là n’ont pas été consultés ni invités par le musée, mais il y aurait sans doute beaucoup à raconter en suivant leurs traces.
Drames
La part des affrontements sanglants n’est pas escamotée dans cette grande exposition, bien qu’elle ne soit souvent qu’esquissée. Sous vitrine, on trouve le long manteau du général Wolfe, un prêt de Buckingham Palace, et celui du juge qui fit pendre Louis Riel.
La déportation des Acadiens occupe un maigre espace. Et il est assez peu question en outre de l’importance des révolutions de 1837 et 1838. Mais on ne cherche pas pour autant à cacher l’odieux d’un personnage comme John A. Macdonald, raciste, antidémocrate, voué au triomphe d’entreprises qu’il représente autant qu’à l’édification d’un pays où on le célèbre toujours comme un père.
Les pièces rares sont nombreuses. Pour la première fois, on présente le portrait immense qui devait être offert le 13 avril 1868 à D’Arcy McGee pour son anniversaire. Le bouillant Irlandais, qui avait renoncé à son idéal républicain de jeunesse pour épouser les intérêts de la Confédération, fut assassiné le 7 avril à Ottawa. Son corps fut rapatrié à Montréal, et une foule immense accompagna son cortège funéraire. C’est le directeur du musée, Mark O’Neill, qui a retrouvé ce portrait chez un membre de la descendance McGee désormais installé en Suisse. «Toute l’exposition était un défi, dit-il. On a mis cinq ans de travail, en s’efforçant de donner une vision compréhensive et inclusive de l’histoire. »
Au Musée de la civilisation, l’exposition permanente débutait avec la présence européenne. La nouvelle salle qui ouvre ses portes présente au contraire 15 000 ans de présence humaine sur le territoire.
Les deux Maurice
Un espace considérable est consacré au Québec moderne. Mais «ce n’est pas une exposition consacrée à l’histoire du Québec», précise Chantal Amyot. Voici devant nous Maurice Duplessis et Maurice Richard comme symboles d’un Québec appelé à vite changer, ce qu’annonce au pied du premier un exemplaire du manifeste Refus global. Au mur, juste à côté, des pochettes de disques de chansonniers. Tout n’est-il affaire que de chansons? Sans qu’il ait été question davantage de ce qui bouille alors, on se retrouve devant la reproduction en carton d’un grand balcon, celui de l’hôtel de ville de Montréal, fendu d’un écran où l’on voit et entend, en boucle, le général de Gaulle lancer son «Vive Montréal! Vive le Québec! Vive le Québec… libre!». À croire que le mouvement indépendantiste québécois provient de là. On passe alors à René Lévesque et à Pierre Elliott Trudeau qui, l’un à côté de l’autre, semblent se répondre, juste avant qu’on nous présente la table où fut signée par la reine la nouvelle Constitution de 1982.
La dernière portion de cette exposition ressemble à une quête d’un pays inquiet. On y multiplie les questions sur ce qu’il conviendrait de faire «pour l’améliorer». Bref, on est moins alors dans une quête de l’histoire que dans celle d’un avenir qui finit par apparaître comme plus ou moins bien assuré.