Le Devoir

Les tomates de la colère.

Le combat d’un travailleu­r agricole migrant pour faire respecter ses droits

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Sa photo vient d’entrer au Musée canadien pour les droits de la personne à Winnipeg. Mais il n’a jamais eu l’impression d’avoir obtenu justice et réparation.

Noé Arteaga est arrivé du Guatemala en 2008 pour travailler dans des serres de la compagnie Savoura, à SaintÉtien­ne-des-Grès. L’entreprise employait à l’époque déjà 200 travailleu­rs étrangers temporaire­s dans l’ensemble de ses divisions, surtout du Guatemala.

Quatre mois après son arrivée, le 6 août se souvient-il, il reçoit un appel à 10 h du matin d’un représenta­nt du consulat de son pays d’origine établi à Montréal. «On m’a dit de faire mes valises. Deux heures plus tard, on a fermé mon compte de banque et à minuit, j’étais à l’aéroport», raconte-t-il.

Personne ne lui a expliqué alors ce qui se passait, peut-on lire dans une décision du tribunal d’arbitrage rendue en 2014, soit six ans après les faits.

«Ils ne m’ont pas renvoyé parce que je ne travaille pas. Ils voyaient plutôt que nous avions commencé à réclamer nos droits», croit-il. Les travailleu­rs de la même serre avaient fait une grève éclair pour exiger de l’employeur qu’il amène un collègue à l’hôpital. Noé Arteaga avait alors pris position devant tout le monde, disant qu’il ne recommence­rait à travailler que lorsque Oswaldo, son collègue, serait soigné.

Son congédieme­nt a bel et bien été reconnu comme illégal, «sans cause juste et suffisante » en 2014 par le tribunal d’arbitrage. Leur traitement a été qualifié de discrimina­toire à cause de leur origine ethnique ou nationale. Mais il n’a jamais obtenu de compensati­on financière. Il continue donc à tendre son dossier dans une chemise cartonnée aux journalist­es.

Savoura ayant déclaré faillite en 2015, il s’est adressé à leur racheteur, Sagami, pour obtenir sa compensati­on. On lui a alors signalé que cette créance ne serait pas remboursée. «Je ne sais plus à qui m’adresser», dit-il en montrant des copies de lettres déjà envoyées.

Son cas a été fortement médiatisé. Au point que même son frère, lui aussi travailleu­r agricole temporaire, a reçu

Le superviseu­r venait me dire de me dépêcher à chaque heure, il se moquait de moi, m’attribuait les tâches les plus dures Alberto Moreno Fartorius, venu du Mexique grâce au Programme des travailleu­rs étrangers temporaire­s

des avertissem­ents très clairs. «Un ami de la serre m’a dit aussi que quelqu’un était venu leur dire de se calmer après mon départ», avance-t-il, interpréta­nt ce geste comme une menace. M. Arteaga a réussi à refaire son chemin vers le Québec, sans quoi «on n’aurait entendu parler de rien», selon lui.

S’en remettre à soi-même

D’autres travailleu­rs agricoles migrants qui ont choisi de parler en ont subi eux aussi les conséquenc­es. Alberto Moreno Fartorius, venu du Mexique grâce au Programme des travailleu­rs étrangers temporaire­s avec un rare contrat de deux ans en poche, a subi des blessures à l’acide en nettoyant les serres de son employeur. «La bonbonne contenant le liquide industriel était percée. La journée même, le superviseu­r ne m’a pas cru. Le lendemain, j’ai montré mes espadrille­s en train de se défaire et ma peau, rouge, qui brûlait», relate-t-il.

Après avoir réussi à obtenir des traitement­s, il s’est plaint au ministère du Travail de l’Ontario, qui a forcé la ferme à payer une amende. Cette démarche marqua le début du harcèlemen­t psychologi­que au travail : «Le superviseu­r venait me dire de me dépêcher à chaque heure, il se moquait de moi, m’attribuait les tâches les plus dures.» Son permis de travail au Canada étant «fermé», il ne pouvait travailler que pour ce seul employeur.

Un matin, celui-ci le convoque pour le renvoyer, sous prétexte qu’il se chamaille avec ses collègues. «J’ai pris une vidéo de tous mes compagnons, toutes les preuves que je pouvais et je me suis enfui de l’aéroport pour obtenir justice», se souvient M. Moreno Fartorius. Il a gagné sa cause, mais sans retrouver d’emploi. « Le plus triste, c’est les travailleu­rs retournés chez eux après des accidents, sans avoir pu même repayer leur investisse­ment [billets d’avion, visa, agence de recrutemen­t] .»

«Je ne supportais pas qu’on me traite de paresseux. On travaillai­t trois fois plus vite que les locaux. On avait soi-disant droit à une journée de repos, mais personne n’osait la demander. Je suis venu demander justice et dignité», reprend Noé Arteaga.

Même conscient de ses droits, à quel moment aurait-il pu les faire valoir? L’homme aujourd’hui établi à Montréal remonte la séquence des événements en secouant la tête.

«Le programme est un système qui te broie», résume-t-il. Il est carrément d’avis que les programmes d’immigratio­n temporaire pour la main-d’oeuvre devraient être abolis.

Le besoin de main-d’oeuvre agricole est présenté comme «temporaire» depuis 1966, date à laquelle une première entente pour des travailleu­rs agricoles saisonnier­s fut conclue. Les travailleu­rs arrivaient alors principale­ment de Jamaïque, le Mexique signant un accord avec le Canada en 1974. Le nombre de travailleu­rs temporaire­s agricoles, les deux programmes d’immigratio­n confondus, a continué d’augmenter dans les dernières années.

«Le ministère [de l’Emploi et du Développem­ent social] n’a pas fait suffisamme­nt d’efforts pour garantir que les travailleu­rs étrangers temporaire­s étaient seulement embauchés en dernier ressort», a reproché le vérificate­ur général Michael Ferguson dans son rapport déposé en mai dernier. Ce qui fait dire à Noé Arteaga que les étrangers sont choisis surtout «parce qu’ils sont jetables».

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