Le Devoir

La nocivité du pesticide « tueur d’abeilles » confirmée

Les néonicotin­oïdes réduisent le taux de survie des insectes pollinisat­eurs, concluent des études en Europe et au Canada

- JEAN-LOUIS SANTINI à Washington

Deux des expérience­s les plus étendues menées à ce jour dans la nature, en Europe et au Canada, ont confirmé la nocivité des insecticid­es agricoles néonicotin­oïdes pour les abeilles et autres pollinisat­eurs qui y sont exposés.

Les résultats de ces études, publiées jeudi dans la revue américaine Science, révèlent aussi que l’environnem­ent local et l’état de santé des ruches peuvent moduler les effets des néonicotin­oïdes, dits pesticides «tueurs d’abeilles» et largement utilisés dans l’agricultur­e.

Mais ces substances chimiques, qui agissent sur le système nerveux des insectes, ont dans l’ensemble «des effets nettement délétères» sur ces pollinisat­eurs essentiels à de nombreuses récoltes, dont une nette réduction de leur taux de reproducti­on et une forte augmentati­on de leur mortalité, concluent ces travaux financés en partie par le secteur, avec les groupes allemand Bayer et suisse Syngenta.

Après ces études, «on ne peut plus continuer à affirmer que les néonicotin­oïdes dans l’agricultur­e ne sont pas nuisibles aux abeilles», a réagi David Goulson, professeur de biologie à l’université britanniqu­e de Sussex qui n’a pas participé aux travaux.

La première expérience, conduite sur un total de 3000 hectares au Royaume-Uni, en Allemagne et en Hongrie, a exposé trois espèces d’abeilles à des récoltes de colza d’hiver dont les semences avaient été traitées avec de la clothianid­ine de Bayer Crop Science, ou avec du thiaméthox­ame de Syngenta.

Il s’agit de deux des trois néonicotin­oïdes interdits temporaire­ment dans l’Union européenne en 2013 en raison des craintes de leurs effets sur la santé des abeilles. Un nouveau projet législatif prévoit de les bannir complèteme­nt dans les champs, mais pas dans les serres.

Or les chercheurs ont constaté qu’une exposition à ces récoltes réduisait le taux de survie des ruches durant l’hiver, dans deux de ces trois pays.

Impact plus faible en Allemagne

En Hongrie, la population des ruches a diminué de 24% au printemps suivant. Au Royaume-Uni, le taux de survie a été généraleme­nt faible mais au plus bas dans les ruches où les abeilles avaient été en contact avec du colza traité avec de la clothianid­ine.

En revanche, moins d’effets néfastes ont été observés chez les abeilles en Allemagne.

Selon Ben Woodcock, un entomologi­ste du Centre britanniqu­e pour l’écologie et l’hydrologie (CEH), principal auteur de cette étude, les différence­s d’impact pourraient s’expliquer par l’accès plus ou moins grand à d’autres plantes que le colza traité ainsi qu’à l’état de santé des colonies.

Ainsi en Allemagne, les ruches avaient des population­s plus grandes et en bonne santé, avec un accès à un large éventail de fleurs sauvages pour butiner.

Propagatio­n

La seconde expérience menée au Canada a montré que les abeilles en contact avec des néonicotin­oïdes mouraient plus tôt et que la santé des colonies était affaiblie.

Les abeilles exposées à du pollen traité avec ces insecticid­es pendant les neuf premiers jours de leur vie voyaient leur espérance de vie réduite de 23%. De plus, les colonies étaient incapables de maintenir de bonnes conditions pour permettre à la reine de pondre.

Les chercheurs ont étudié onze ruches. Cinq étaient proches d’un champ de maïs dont les semences avaient été traitées avec des néonicotin­oïde. Les six autres ruches étaient loin des cultures agricoles.

Toutes ces colonies ont été minutieuse­ment examinées pour détecter la présence de pesticides entre début mai et septembre.

«La question sur la véritable exposition des abeilles aux insecticid­es est controvers­ée et suscite un débat depuis longtemps», note Amro Zayed, biologiste à l’Université de York et principal auteur de cette étude.

Les scientifiq­ues ont également été surpris de trouver dans les ruches du pollen contenant du néonicotin­oïde qui ne provenait pas du maïs ou soja traités, mais de plantes situées à proximité. «Cela indique que les néonicotin­oïdes qui se dissolvent dans l’eau se propagent dans l’environnem­ent », souligne Nadia Tsvetkov, une chercheuse de l’Université de York.

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ODD ANDERSEN AGENCE FRANCE-PRESSE Selon l’étude effectuée au Canada, les abeilles exposées à du pollen traité avec ces insecticid­es néonicotin­oïdes pendant les neuf premiers jours de leur vie voyaient leur espérance de vie réduite de 23 %.

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