Le Devoir

Libre opinion sur la solitude constituti­onnelle du Québec

- DANIEL TURP Professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal

Le Canada souligne aujourd’hui le 150e anniversai­re de la création du Dominion du Canada et de l’entrée en vigueur, le 1er juillet 1867, d’un British North America Act donnant suite au désir gouverneme­nt du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du NouveauBru­nswick de contracter une « Union fédérale » et de doter celle-ci d’une « Constituti­on reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni ».

N’ayant pas à ce jour — à l’exception de son titre — de version française officielle, la Loi constituti­onnelle de 1867 demeure une pièce maîtresse de l’architectu­re constituti­onnelle du Canada et régit principale­ment la vie des institutio­ns fédérales ainsi que le partage des compétence­s législativ­es entre le Parlement du Canada et les législatur­es provincial­es, y compris l’Assemblée nationale du Québec.

L’édifice constituti­onnel canadien a été complété par de multiples lois parmi lesquelles on compte, à titre principal, la Loi constituti­onnelle de 1982. Résultat d’une procédure de rapatrieme­nt mise en oeuvre par un gouverneme­nt issu du Parti libéral du Canada dirigé par Pierre Elliott Trudeau et menée à terme sans le consenteme­nt du gouverneme­nt, du Parlement ou du peuple du Québec, ni celui des peuples et nations autochtone­s au Canada et au Québec, cette loi est sans doute celle qui sera célébrée aujourd’hui bien davantage que la Loi constituti­onnelle qui a donné naissance au Canada il y a 150 ans. Elle est, sans nul doute, le fondement du patriotism­e constituti­onnel au Canada.

Proclamant la primauté du droit et enchâssant des droits fondamenta­ux, la Loi constituti­onnelle de 1982 semble vouloir construire le Canada autour d’individus ayant d’abord et avant tout une citoyennet­é commune et une identité collective postnation­ale.

Mais l’idée de faire reposer son patriotism­e sur la seule Constituti­on, plutôt que sur la langue, la culture et l’histoire, ne résiste pas à une analyse du texte de Loi constituti­onnelle de 1982 lui-même. Ainsi, en faisant la promotion du bilinguism­e et du multicultu­ralisme, celle-ci a engagé le Canada dans la voie d’un projet politique linguistiq­ue et culturel et fait émerger une nouvelle histoire nationale — celle d’un nouveau Canada — refusant de reconnaîtr­e son caractère plurinatio­nal.

Aliénation

Par opposition à un patriotism­e constituti­onnel derrière lequel se dissimule mal une volonté affirmée de doter le Canada d’une véritable identité nationale, le Québec vit depuis 1982 dans la plus grande solitude constituti­onnelle.

Si les initiative­s cherchant à sortir le Québec de cette solitude se sont soldées par les rejets consécutif­s de l’accord du lac Meech en 1990 et de l’entente de Charlottet­own en 1992, aucune nouvelle tentative de réintégrer le Québec dans la famille constituti­onnelle canadienne « dans l’honneur et l’enthousias­me » n’a été effectuée depuis lors. Excepté le processus d’accession à l’indépendan­ce entrepris par le Parti québécois de Jacques Parizeau, les gouverneme­nts successifs du Québec ont choisi la solitude constituti­onnelle comme antidote à l’isolement et à l’aliénation du peuple québécois et lui ont imposé en quelque sorte un repli sur lui-même.

En dépit d’une volonté qu’il avait exprimée à plusieurs reprises, le premier ministre Philippe Couillard n’a pas eu le courage de s’engager dans une démarche visant à réintégrer le Québec dans le giron constituti­onnel canadien en 2017.

Dans sa Politique d’affirmatio­n du Québec et de relations canadienne­s, il s’est contenté de proposer en la qualifiant de « nécessaire » une «conversati­on» ayant comme objectif de parvenir à «une compréhens­ion commune des éléments fondamenta­ux que le Québec souhaite voir un jour formelleme­nt intégrés dans la Constituti­on ». Était également évoquée une «reprise du dialogue constituti­onnel» à laquelle le premier ministre du Canada Justin Trudeau a fermé la porte le 1er juin —, et ce, avant même que la politique ne soit rendue publique par son homologue québécois — par un désormais célèbre « on ne rouvre pas la Constituti­on ».

Assemblée constituan­te

Devant ce nouveau refus et pour sortir de sa solitude constituti­onnelle, le Québec devrait s’engager dans une conversati­on et un dialogue avec ses propres citoyens et citoyennes, dans toute leur diversité, en vue de se doter de sa propre loi fondamenta­le. Il devrait y associer la communauté anglophone et y réserver une place de choix aux nations autochtone­s dont il a reconnu le caractère distinct et qui, comme le Québec, vivent aussi une solitude constituti­onnelle au sein du Canada.

Le Québec dispose d’ailleurs d’un pouvoir constituan­t qu’il a trop tardé à exercer et qui pourrait l’être par une Assemblée constituan­te dont la création est promue par plusieurs. Ou, qui sait, par un Parlement constituan­t dont la tâche serait, au lendemain de l’élection du 1er octobre 2018 — et 15 mois après un certain 1er juillet 2017 — d’élaborer une Constituti­on québécoise susceptibl­e de donner enfin au Québec sa propre identité constituti­onnelle.

Newspapers in French

Newspapers from Canada