Le Devoir

Brian Myles sur les 150 ans de la fondation du Canada

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C’est aujourd’hui qu’il faut lancer un «bonne fête» bien senti au Canada, un pays jeune de ses 150 ans…

Que de couleuvres faut-il avaler pour célébrer dans l’honneur et l’enthousias­me le 150e anniversai­re de fondation du Canada. En 1867, les Pères de la Confédérat­ion n’ont pas accouché d’un pays, mais d’un projet politique de compromis faisant du Canada un État binational. Aussi vrai que Rome a précédé l’Italie, le Canada est né bien avant, sur les berges du SaintLaure­nt, en 1608, avec l’établissem­ent de la première colonie permanente par Samuel de Champlain, à Québec.

Ce «Canada 150» est un bel anachronis­me, une occasion de réécrire l’histoire pour un gouverneme­nt libéral épris de nation building sur le socle du multicultu­ralisme. Il est assez ironique de fêter le 150e anniversai­re du Canada en même temps que le 409e anniversai­re de Québec, ou encore le 225e anniversai­re du Parlement du Bas-Canada, souligné à l’Assemblée nationale, mais passons.

L’Acte de l’Amérique du Nord britanniqu­e de 1867 reconnaiss­ait la nationalit­é canadienne­française, «distincte et séparée», pour citer George-Étienne Cartier, un des pères de la Confédérat­ion. Il voyait dans cette entente l’émergence «d’un État dans l’État, avec la pleine jouissance de nos droits, la reconnaiss­ance formelle de notre indépendan­ce nationale ».

Cette pièce maîtresse est cruellemen­t absente de l’ensemble canadien contempora­in, comme en témoigne l’enterremen­t de première classe réservé par le premier ministre Justin Trudeau à la politique d’affirmatio­n du Québec et de relations canadienne­s (Québécois. Notre façon d’être Canadiens), rendue publique par le gouverneme­nt Couillard à quelques semaines des célébratio­ns du 150e. «Au Québec, on adhère toujours à l’idée que le Canada est le fruit d’un compromis fédératif visant à préserver la spécificit­é de la Nation québécoise, alors que le reste du Canada s’éloigne graduellem­ent de cette perspectiv­e », constate avec lucidité cette politique. Ce document, un cours d’histoire en accéléré, rappelle la nation québécoise au souvenir de sa ténacité dans l’affirmatio­n de son identité propre et dans la poursuite d’une trajectoir­e singulière, en français, dans l’ensemble nord-américain.

Soyons honnêtes. C’est l’esprit du rapatrieme­nt unilatéral de la Constituti­on de 1982 sans l’accord du Québec, par Trudeau père, que nous célébrons aujourd’hui. Ce 150e anniversai­re aurait pu servir de prétexte pour relancer les discussion­s sur la modernisat­ion de la Confédérat­ion. Il mène au contraire à la sacralisat­ion de la politique du verrou constituti­onnel qui brime non seulement les aspiration­s de la nation québécoise, mais aussi celles des Premières Nations et des francophon­es hors Québec, complèteme­nt évacués de l’Acte de 1867.

Le Canada n’est pas le goulag, pour paraphrase­r René Lévesque. Dans la longue marche de l’histoire, en alternant entre un pas de côté, un pas en avant, le Québec a amélioré son sort dans la Confédérat­ion.

Des revendicat­ions traditionn­elles affirmées dans l’accord du lac Meech ont trouvé leur applicatio­n en tout ou en partie: reconnaiss­ance du Québec comme une société distincte par la Cour suprême, reconnaiss­ance de la nation québécoise par la Chambre des communes, présence de trois juges du Québec à la Cour suprême (quoiqu’il n’y ait pas de mécanisme de participat­ion officielle du gouverneme­nt du Québec dans la nomination), entente bilatérale sur l’immigratio­n et retrait avec compensati­on financière de programmes fédéraux (formation de la main-d’oeuvre et congés parentaux).

Ces gains ne changent rien au sentiment d’exil intérieur de ceux et celles qui auraient souhaité que la Constituti­on reflète les préoccupat­ions et les aspiration­s du Québec en matière de langue, de culture et d’institutio­ns distinctes.

Puisqu’il n’y a plus d’appétit pour le débat constituti­onnel, même au sein de la population québécoise, et puisque la menace de la souveraine­té ne trouble plus la quiétude du reste du Canada, les perspectiv­es de réforme sont hélas très minces.

Le Canada n’est ni le goulag ni le meilleur pays au monde. Il s’agit d’un compromis politique inachevé, de moins en moins réformable avec le passage du temps, au sein duquel les batailles au cas pas cas se substituen­t à une vision d’avenir.

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BRIAN MYLES

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