Hong Kong: vingt ans après la rétrocession, le désenchantement
Le retrait britannique a engendré des problèmes socioéconomiques attribués au pouvoir sous pression de la Chine
Depuis la fin de la souveraineté britannique en 1997, la reprise en main chinoise se fait plus pressante sur l’économie du territoire. Alors que l’étau de Pékin se resserre sur la démocratie depuis l’échec des manifestations de 2014, la jeune génération tente de résister.
Des barricades de fortune barrent l’entrée du village de Wang Chau, voué à la destruction. Un siège s’est organisé pour repousser les expulsions décidées par le gouvernement hongkongais. Un QG sous un perron, des boîtes de gâteaux, des cartes topographiques et beaucoup de moustiques. Et Lin OnKai et ses camarades, qui préparent les pancartes pour la manifestation de samedi.
À l’image d’une jeune génération prête à en découdre avec «un gouvernement maintenu sous pression par la Chine et sourd au dialogue», Lin On-Kai, 28 ans, fraîchement diplômée en psychologie, défilera le 1er juillet, non pour célébrer les 20 ans de la rétrocession de Hong Kong à la Chine, mais pour dénoncer « l’injustice d’un système » concentré sur les intérêts de Pékin.
L’anniversaire de la rétrocession est un rendez-vous annuel tant des soutiens de Pékin que des militants pour la démocratie, qui rassemble des dizaines de milliers de participants. Lin OnKai en est une habituée. Cette année, elle ne plaidera pas seulement pour les libertés politiques, mais aussi pour le sort des habitants de Wang Chau, un des villages de la région qui sont condamnés à disparaître.
Lin On-Kai n’est guère réceptive au refrain nationaliste ressassé depuis des mois par les autorités, qui veulent célébrer 20 ans de prospérité partagée. Même Xi Jinping est de la partie, arrivé jeudi dans la région semi-autonome pour une visite de trois jours, sa première en tant que président chinois. « Hong Kong a toujours eu une place dans mon coeur», a-t-il déclaré sur le tarmac, à peine descendu de l’avion.
À marche forcée vers l’intégration
La Chine, elle, n’est pas encore dans le coeur des Hongkongais. Poussés à marche forcée vers l’intégration avec la mère patrie, tous n’ont pas le coeur à la fête, ni ne sont prêts à faire le deuil de leurs libertés. Lin On-Kai la première. À quelques jours des festivités, elle raconte n’avoir jamais habité à Wang Chau, petit écrin de verdure à quelques kilomètres de la frontière avec la Chine. Elle n’était même pas née quand ces maisonnettes de bric et de broc ont été construites.
Mais elle défend ces villageois « traités comme des moins que rien» et sommés de quitter
leurs habitations qui feront bientôt place à des tours résidentielles. Ce projet est, pour elle, symptomatique de la collusion entre élites politiques et économiques et de l’érosion de l’autonomie de Hong Kong. Selon elle, le Parti communiste s’entend avec les promoteurs et les magnats locaux, ce qui lui permet de maintenir l’équilibre politique sans avoir à faire des concessions à la démocratie.
En 1997, Lin On-Kai avait huit ans. Elle se souvient à peine du changement de souveraineté négocié dès 1984 sans que la population ait été consultée. «Il y avait de l’inquiétude, mais pas dans mon entourage, où c’était plutôt un rêve qui devenait réalité» : Hong Kong redevenait chinoise après des décennies de domination britannique.
«Il y avait une sorte d’espoir d’une vie meilleure», se souvient la brunette, dont les parents, originaires de la province chinoise de Guangdong, ont immigré à Hong Kong dans les années 1960. «Et on a déchanté, petit à petit», notamment du fait de la «pression des promoteurs et de la devise de Pékin: construire des tours et des tours et des infrastructures, sans aucun égard pour la population », raconte la jeune femme, caressant du regard les petits potagers de Wang Chau et ses ruelles arborées, «un mode de vie inestimable que rien ne pourra remplacer, surtout pas des appartements-cages dans des tours».
La préservation du patrimoine a d’ailleurs contribué à déclencher une prise de conscience politique. « Hong Kong n’a pas beaucoup d’histoire et de monuments anciens à cause du développement. Après 1997, le gouvernement a fait beaucoup pour effacer l’histoire, notamment coloniale. Or, sans histoire, c’est difficile de connaître notre identité », conclut Lin On-Kai.
Se faire manger à petit feu
L’immobilier n’est qu’un des exemples de la pénétration des Chinois dans le tissu économique, financier et politique hongkongais. Télécommunications, commerce, banques, édition, médias, cinéma, rien n’a échappé à leur appétit. Après les parcelles de l’ancien aéroport (implanté en plein coeur de la ville), les villas luxueuses du sud de l’île de Hong Kong et les terrains publics mis aux enchères par le gouvernement, les Chinois jettent désormais leur dévolu sur les bureaux.
Une partie des 88 étages de l’emblématique gratte-ciel de l’IFC, 416 mètres de prestige et deuxième tour de la ville pour ce qui est de la hauteur, est ainsi rachetée par des entreprises chinoises prêtes à payer le prix fort pour dominer la ville. Les commerces subissent aussi la pression, comme en témoigne Mandy Mak, vendeuse dans une minuscule boulangerie du quartier branché de Soho. «Les prix sont exorbitants. C’est de plus en plus difficile de faire vivre un commerce et de se loger», raconte-t-elle en regardant passer la police dans un hurlement de sirènes. Les forces de l’ordre, pourtant si discrètes d’habitude, sont nerveuses ces jours-ci en raison de la visite du président Xi. Mandy Mak ne reconnaît plus sa ville, engorgée par 7,3 millions d’habitants, par les «très hauts immeubles modernes» et «ces franchises qui ont chassé les petites boutiques ou petits commerces». Cette modernisation débridée lui déplaît: «On était heureux avant, on ne l’est plus, trop de pression.»
Sur le papier, Hong Kong conserve son haut degré d’autonomie, ses libertés, sa monnaie, son système judiciaire. C’est le principe «un pays, deux systèmes», inscrit dans l’accord de 1984 ayant présidé à la rétrocession. Il est censé garantir le maintien jusqu’en 2047 du mode de vie d’avant 1997. Mais dans les faits, se désole la commerçante, «on se fait manger à petit feu. Regardez la presse, il ne nous reste plus qu’un journal libre, Apple Daily, ce qui confirme nos inquiétudes de 1997: les libertés sont attaquées».
«Sécessionnistes»
Même dans les milieux d’affaires, certains redoutent que l’autonomie de Hong Kong ne soit avalée par l’intégration, organisée par Pékin à grands coups de projets d’infrastructures pharaoniques ou de mégacités-régions, dont Hong Kong ne serait qu’une composante. Benny Chung, croisé non loin de Soho dans une rue remplie d’effluves de poissons séchés, témoigne aussi de ce blues sous-jacent. Parti en 2000 pour parachever sa formation de danseur aux États-Unis, il retrouve en 2012 une ville postindustrielle marquée par «l’angoisse, le stress, la colère».
«Ce qui avait changé, c’étaient les gens, repliés sur eux-mêmes, comme s’il n’y avait nulle part où ils se sentaient protégés », regrette-t-il. Il évoque les manifestations monstres de 2012 contre un projet de manuel scolaire destiné à construire «l’harmonie, l’identité et l’unité nationale». À l’époque, les manifestants « ont gagné et ont cru alors qu’ils pouvaient faire bouger le gouvernement chinois», note-t-il en secouant la tête.
Pour Mandy Mak, 2014 est l’année où la démocratie hongkongaise a été enterrée, le 31 août. «C’est une date traumatisante à partir de laquelle Hong Kong a radicalement changé. La colère a éclaté », témoigne-t-elle.
Ce jour-là, les arcanes du pouvoir communiste ont décidé de désigner les candidats pouvant concourir pour le poste de chef de l’exécutif. Cette décision avait alors entraîné Mandy Mak et des milliers d’autres Hongkongais dans la rue des semaines durant pour exiger une pleine démocratie. «J’ai même campé une nuit là-bas », dit la quinquagénaire.
Mais Pékin n’a rien cédé. Encore aujourd’hui, seulement une partie des députés sont élus au suffrage universel, le chef de l’exécutif étant désigné par un collège de grands électeurs largement acquis à Pékin. Carrie Lam, la nouvelle chef choisie fin mars, sera officiellement investie samedi, en présence de Xi Jinping. L’affrontement de 2014 a marqué un point de non-retour, laissant la société hongkongaise fracturée et irritant le gouvernement central chinois, qui désormais se restreint moins et multiplie les interférences dans les affaires locales.
Si Mandy Mak n’ose plus trop manifester, la jeune génération continue de descendre dans la rue pour réclamer le suffrage universel et l’émancipation du joug chinois, signe que le creuset culturel s’est intensifié et que l’intégration n’est toujours pas acceptée, même 20 ans plus tard. Une poignée de ces militants ont ainsi multiplié les coups d’éclat ces derniers jours. Une vingtaine ont été arrêtés mercredi pour nuisance publique et placés en détention.
Parmi eux figurent des députés et de jeunes militants emblématiques, dangereux agitateurs « sécessionnistes » selon Pékin, qui aimerait les museler. Le gouvernement central a déjà fait disqualifier deux députés. Au moins cinq autres sont sur la sellette.
La Chine va-t-elle durcir encore le ton ou bien modérer ses ripostes pour préserver la robustesse financière de Hong Kong et maintenir ainsi l’équilibre politique? Lin On-Kai est sceptique : «L’influence du gouvernement central ne va cesser de croître. À nous de rendre plus forte la société civile pour que Pékin ne puisse pas la détruire, même en 2047.»
À l’image d’une jeune génération prête à en découdre avec «un gouvernement sourd au dialogue», Lin On-Kai, 28 ans, défilera le 1er juillet pour dénoncer «l’injustice d’un système» concentré sur les intérêts de Pékin