Devant l’attention des autorités, que fera Google?
L’amende infligée cette semaine est bien petite pour l’entreprise, mais elle pourrait avoir des conséquences plus larges
Google a encaissé cette semaine deux défaites coup sur coup, aux mains de la commissaire européenne à la Concurrence et de la Cour suprême du Canada. Survol d’une entreprise dont les pratiques attirent de plus en plus le regard des autorités.
L’amende record de 2,4 milliards d’euros infligée à Google par les autorités européennes cette semaine est une somme bien petite dans le grand tout de ses finances, mais elle pourrait avoir des conséquences plus larges: forcer l’ensemble des joueurs dominants à réfléchir à leurs pratiques, histoire de s’éviter des problèmes.
« Souvent, un des principaux plaignants contre le comportement de Google en Europe, c’est Microsoft. Dans le domaine des engins de recherche, c’est son concurrent », dit Avi Goldfarb, qui enseigne à l’école Rotman de l’Université de Toronto, où il s’intéresse entre autres à l’impact des technologies de l’information sur le marketing. «Les sociétés américaines se servent du système juridique comme outil stratégique pour s’en prendre à leurs adversaires.»
Dans ce contexte, estime-til, les grands joueurs vont revoir l’ensemble de leurs façons de faire «pour déterminer si elles sont exposées à des inquiétudes de la part des autorités réglementaires ». Outre Google, « il y a Facebook, Microsoft, et dans une moindre mesure Amazon », dit M. Goldfarb.
Au coeur du modèle
L’amende imposée par la commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, dépasse de loin le précédent record: en 2009, les autorités avaient demandé 1,06 milliard d’euros au fabricant de semiconducteurs
Intel, accusé d’abus de puissance commerciale.
À l’époque, la commission reprochait à l’entreprise d’offrir des ristournes aux manufacturiers d’ordinateurs si ceux-ci s’engageaient, en contrepartie, à ne s’approvisionner que chez Intel, concurrent d’AMD. La Cour de justice de l’Union européenne tranchera la cause en septembre 2017.
Même si la somme de 2,4 milliards d’euros n’est rien en comparaison des 86 milliards $US que Google détient dans ses coffres, la décision s’attaque à une partie névralgique de son modèle d’affaires, c’est-àdire la façon de présenter les résultats de recherche en fonction d’algorithmes sophistiqués.
En clair, la commissaire européenne à la concurrence accuse Google d’avoir privilégié son propre outil de comparaison de prix, Google Shopping (autrefois appelé Froogle), au détriment de ceux des autres.
« Google est à l’origine d’un grand nombre de produits et de services innovants qui ont changé notre vie, ce qui est positif, a écrit Mme Vestager. Mais sa stratégie relative à son service de comparaison de prix ne s’est pas limitée à attirer des clients en rendant son produit meilleur que celui de ses concurrents. En effet, Google a abusé de sa position dominante sur le marché des moteurs de recherche en favorisant son propre service de comparaison de prix dans ses résultats de recherche et en rétrogradant ceux de ses concurrents.» Aussi, a-telle dit, Google «a empêché les consommateurs européens de bénéficier d’un réel choix de services et de tirer pleinement profit de l’innovation ».
Google a maintenant 90 jours pour arrêter cette pratique, à défaut de quoi la Commission européenne exigera 5% des revenus mondiaux de sa société mère, Alphabet.
Les réactions n’ont pas tardé. Le vice-président des politiques publiques de l’application Yelp, axée sur la recherche de restaurants locaux, a estimé que la décision met la table pour d’autres actions. «La cause entourant le magasinage établit la diligence raisonnable qui donnera à la Commission un tremplin facile vers d’autres [aspects de la compagnie] », a écrit Luther Lowe sur Twitter le jour de la décision. La veille, il avait déclaré que le jugement serait le plus important depuis près de 20 ans.
La dernière grande cause, at-il affirmé, est celle rendue par la justice américaine en 2000, quand le gouvernement a accusé Microsoft d’être en voie de devenir un monopole. Cette cause s’est réglée un an plus tard, quand Microsoft a accepté de faire certaines concessions.
Le rôle de l’Europe
Sur la quinzaine de fois où Google s’est retrouvée devant les autorités réglementaires, la moitié a eu lieu en Europe. Elle a aussi attiré l’attention des autorités américaines, brésiliennes, sud-coréennes et canadiennes. L’enquête canadienne, qui portait notamment sur le placement publicitaire, a été fermée en 2016 parce que l’entreprise a modifié certaines pratiques.
«Google a déjà été influencée par la manière dont elle a été approchée par les autorités réglementaires européennes. Est-ce que la cause actuelle va changer quelque chose? Je ne sais pas, mais je suis d’avis que la compagnie est consciente de ce que les gens pensent au sujet de sa taille et de sa position potentielle dans
La décision s’attaque à la façon de présenter les résultats de recherche en fonction d’algorithmes sophistiqués
le marché européen, dit Avi Goldfarb. Au fil des ans, Google a non seulement modifié certaines façons de faire pour répondre aux préoccupations de l’Europe, jusqu’à un certain point, mais elle a aussi élargi son équipe d’avocats et de lobbyistes, à la fois aux États-Unis et en Europe. »
Google s’inscrit dans une longue série d’entreprises innovantes dont le statut et la taille donnent l’impression d’un quasi-monopole.
Mais, contrairement aux autres, sa taille se combine à un secteur qui évolue rapidement, et le besoin d’innover pour garder la longueur d’avance sur les concurrents se heurte inévitablement aux différences juridiques qui distinguent les pays où elle mène ses activités. Ce qui est interdit dans un pays ne l’est peutêtre pas complètement dans un autre…
Cour suprême du Canada
L’enjeu des juridictions a été soulevé cette semaine dans une autre cause que Google a perdue, cette fois en Cour suprême du Canada. Les juges, à sept contre deux, ont estimé qu’une injonction obligeant Google à retirer un site Web de sa version canadienne doit également s’appliquer à sa version internationale.
Ce que l’entreprise, qui jouit d’une part de marché d’environ 70% dans la recherche sur Internet, voit comme une application trop large.
Cela dit, les futures batailles risquent souvent de se dérouler en sol européen. Dans le secteur des technologies de l’information, les Américains comptent plus de grands joueurs que les autres. «Il y a une poignée de compagnies américaines qui ont connu du succès en Europe, et les autorités européennes pourchassent des grandes compagnies américaines depuis longtemps, dit M. Goldfarb. Ça ne va pas changer bientôt. »