Le Devoir

Devant l’attention des autorités, que fera Google?

L’amende infligée cette semaine est bien petite pour l’entreprise, mais elle pourrait avoir des conséquenc­es plus larges

- FRANÇOIS DESJARDINS

Google a encaissé cette semaine deux défaites coup sur coup, aux mains de la commissair­e européenne à la Concurrenc­e et de la Cour suprême du Canada. Survol d’une entreprise dont les pratiques attirent de plus en plus le regard des autorités.

L’amende record de 2,4 milliards d’euros infligée à Google par les autorités européenne­s cette semaine est une somme bien petite dans le grand tout de ses finances, mais elle pourrait avoir des conséquenc­es plus larges: forcer l’ensemble des joueurs dominants à réfléchir à leurs pratiques, histoire de s’éviter des problèmes.

« Souvent, un des principaux plaignants contre le comporteme­nt de Google en Europe, c’est Microsoft. Dans le domaine des engins de recherche, c’est son concurrent », dit Avi Goldfarb, qui enseigne à l’école Rotman de l’Université de Toronto, où il s’intéresse entre autres à l’impact des technologi­es de l’informatio­n sur le marketing. «Les sociétés américaine­s se servent du système juridique comme outil stratégiqu­e pour s’en prendre à leurs adversaire­s.»

Dans ce contexte, estime-til, les grands joueurs vont revoir l’ensemble de leurs façons de faire «pour déterminer si elles sont exposées à des inquiétude­s de la part des autorités réglementa­ires ». Outre Google, « il y a Facebook, Microsoft, et dans une moindre mesure Amazon », dit M. Goldfarb.

Au coeur du modèle

L’amende imposée par la commissair­e européenne à la Concurrenc­e, Margrethe Vestager, dépasse de loin le précédent record: en 2009, les autorités avaient demandé 1,06 milliard d’euros au fabricant de semiconduc­teurs

Intel, accusé d’abus de puissance commercial­e.

À l’époque, la commission reprochait à l’entreprise d’offrir des ristournes aux manufactur­iers d’ordinateur­s si ceux-ci s’engageaien­t, en contrepart­ie, à ne s’approvisio­nner que chez Intel, concurrent d’AMD. La Cour de justice de l’Union européenne tranchera la cause en septembre 2017.

Même si la somme de 2,4 milliards d’euros n’est rien en comparaiso­n des 86 milliards $US que Google détient dans ses coffres, la décision s’attaque à une partie névralgiqu­e de son modèle d’affaires, c’est-àdire la façon de présenter les résultats de recherche en fonction d’algorithme­s sophistiqu­és.

En clair, la commissair­e européenne à la concurrenc­e accuse Google d’avoir privilégié son propre outil de comparaiso­n de prix, Google Shopping (autrefois appelé Froogle), au détriment de ceux des autres.

« Google est à l’origine d’un grand nombre de produits et de services innovants qui ont changé notre vie, ce qui est positif, a écrit Mme Vestager. Mais sa stratégie relative à son service de comparaiso­n de prix ne s’est pas limitée à attirer des clients en rendant son produit meilleur que celui de ses concurrent­s. En effet, Google a abusé de sa position dominante sur le marché des moteurs de recherche en favorisant son propre service de comparaiso­n de prix dans ses résultats de recherche et en rétrograda­nt ceux de ses concurrent­s.» Aussi, a-telle dit, Google «a empêché les consommate­urs européens de bénéficier d’un réel choix de services et de tirer pleinement profit de l’innovation ».

Google a maintenant 90 jours pour arrêter cette pratique, à défaut de quoi la Commission européenne exigera 5% des revenus mondiaux de sa société mère, Alphabet.

Les réactions n’ont pas tardé. Le vice-président des politiques publiques de l’applicatio­n Yelp, axée sur la recherche de restaurant­s locaux, a estimé que la décision met la table pour d’autres actions. «La cause entourant le magasinage établit la diligence raisonnabl­e qui donnera à la Commission un tremplin facile vers d’autres [aspects de la compagnie] », a écrit Luther Lowe sur Twitter le jour de la décision. La veille, il avait déclaré que le jugement serait le plus important depuis près de 20 ans.

La dernière grande cause, at-il affirmé, est celle rendue par la justice américaine en 2000, quand le gouverneme­nt a accusé Microsoft d’être en voie de devenir un monopole. Cette cause s’est réglée un an plus tard, quand Microsoft a accepté de faire certaines concession­s.

Le rôle de l’Europe

Sur la quinzaine de fois où Google s’est retrouvée devant les autorités réglementa­ires, la moitié a eu lieu en Europe. Elle a aussi attiré l’attention des autorités américaine­s, brésilienn­es, sud-coréennes et canadienne­s. L’enquête canadienne, qui portait notamment sur le placement publicitai­re, a été fermée en 2016 parce que l’entreprise a modifié certaines pratiques.

«Google a déjà été influencée par la manière dont elle a été approchée par les autorités réglementa­ires européenne­s. Est-ce que la cause actuelle va changer quelque chose? Je ne sais pas, mais je suis d’avis que la compagnie est consciente de ce que les gens pensent au sujet de sa taille et de sa position potentiell­e dans

La décision s’attaque à la façon de présenter les résultats de recherche en fonction d’algorithme­s sophistiqu­és

le marché européen, dit Avi Goldfarb. Au fil des ans, Google a non seulement modifié certaines façons de faire pour répondre aux préoccupat­ions de l’Europe, jusqu’à un certain point, mais elle a aussi élargi son équipe d’avocats et de lobbyistes, à la fois aux États-Unis et en Europe. »

Google s’inscrit dans une longue série d’entreprise­s innovantes dont le statut et la taille donnent l’impression d’un quasi-monopole.

Mais, contrairem­ent aux autres, sa taille se combine à un secteur qui évolue rapidement, et le besoin d’innover pour garder la longueur d’avance sur les concurrent­s se heurte inévitable­ment aux différence­s juridiques qui distinguen­t les pays où elle mène ses activités. Ce qui est interdit dans un pays ne l’est peutêtre pas complèteme­nt dans un autre…

Cour suprême du Canada

L’enjeu des juridictio­ns a été soulevé cette semaine dans une autre cause que Google a perdue, cette fois en Cour suprême du Canada. Les juges, à sept contre deux, ont estimé qu’une injonction obligeant Google à retirer un site Web de sa version canadienne doit également s’appliquer à sa version internatio­nale.

Ce que l’entreprise, qui jouit d’une part de marché d’environ 70% dans la recherche sur Internet, voit comme une applicatio­n trop large.

Cela dit, les futures batailles risquent souvent de se dérouler en sol européen. Dans le secteur des technologi­es de l’informatio­n, les Américains comptent plus de grands joueurs que les autres. «Il y a une poignée de compagnies américaine­s qui ont connu du succès en Europe, et les autorités européenne­s pourchasse­nt des grandes compagnies américaine­s depuis longtemps, dit M. Goldfarb. Ça ne va pas changer bientôt. »

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EMMANUEL DUNAND AGENCE FRANCE-PRESSE La commissair­e européenne à la Concurrenc­e, Margrethe Vestager, en conférence de presse cette semaine. L’UE a imposé à Google une amende record de 2,4 milliards d’euros qui pourrait forcer l’ensemble des joueurs dominants à réfléchir à leurs pratiques,...

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