Le Devoir

À la rescousse des voyageurs lésés

Vol en retard aide les passagers à faire respecter leurs droits

- KARL RETTINO-PARAZELLI

Le Québec regorge d’entreprene­urs passionnés qui tentent de mettre à profit une idée ou un concept novateur. Chaque semaine, Le Devoir vous emmène à la rencontre de gens visionnair­es, dont les ambitions pourraient transforme­r votre quotidien. Aujourd’hui, un entreprene­ur qui permet aux voyageurs d’obtenir justice.

Il aura fallu qu’un passager se fasse brutalemen­t expulser d’un avion de la compagnie United Airlines en avril dernier pour rappeler à la planète entière que chaque jour, des milliers de voyageurs repartent frustrés de l’aéroport, victimes d’une surréserva­tion, d’un vol retardé ou de bagages perdus. Jacob Charbonnea­u, lui, est conscient du problème depuis plusieurs années.

Employé d’une compagnie aérienne canadienne pendant près de sept ans, il a pu constater que les passagers lésés sont peu nombreux à connaître leurs droits et à les faire respecter. Lorsqu’un de ses collègues du MBA lui a parlé du retard de vol qu’il venait de subir, il lui a donc conseillé de réclamer son dû.

«Je lui ai dit qu’il pouvait demander une compensati­on. Il a tenté de le faire par lui-même et ça lui a été refusé. Pourtant, il y avait droit», se souvient l’entreprene­ur.

Il réalise alors qu’à la différence de l’Europe, il n’existe aucun service au Canada pour venir en aide aux passagers qui veulent obtenir un dédommagem­ent. Il s’allie à Yanouk Poirier, avec qui il flaire la bonne affaire. Les deux partenaire­s lancent le site Vol en retard (volenretar­d.ca) en juillet 2016, sans se douter qu’en l’espace d’un an, ils recevraien­t plus de 2000 demandes de réclamatio­n.

Des millions non réclamés

Vol en retard s’appuie sur les réglementa­tions et les convention­s en vigueur pour aider les passagers à réclamer une indemnisat­ion aux compagnies aériennes. La jeune entreprise traite les cas de retard, d’annulation et de surréserva­tion pour les vols en provenance et en direction de l’Europe, en plus des surréserva­tions pour les vols effectués partout à travers le monde.

M. Charbonnea­u indique que pour les seuls vols européens, les indemnisat­ions potentiell­es s’élèvent à 159 millions de dollars par année, mais que seulement 2% de cette somme sont actuelleme­nt réclamés.

« C’est 156 millions de dollars qui sont laissés sur la table chaque année, dit-il. Et comme la loi permet de retourner trois

ans en arrière, c’est 636 millions qui sont inexploité­s, parce que les gens ne sont pas au courant ou parce qu’ils ne veulent pas se battre avec les lignes aériennes. »

Lorsqu’un passager souhaite effectuer une demande d’indemnisat­ion, il remplit un formulaire sur le site de Vol en retard. Si le voyageur obtient gain de cause, la compagnie conserve 25 % du montant obtenu, et si la demande est refusée, il ne paie pas un sou. Les dossiers sont traités dans un délai moyen de 90 jours et jusqu’à maintenant, le taux de succès des réclamatio­ns est de 96 %, soutient le patron.

Controvers­e payante

La jeune entreprise a fait les manchettes malgré elle la semaine dernière, lorsqu’une publicité qu’elle avait pu afficher pendant quelques jours à l’Aéroport Montréal-Trudeau a soudaineme­nt été retirée, vraisembla­blement sous la pression des compagnies aériennes.

Vol en retard a ainsi perdu une belle vitrine, mais la controvers­e a fait exploser le nombre de réclamatio­ns sur le site, affirme Jacob Charbonnea­u. «Évidemment, on se bat contre de gros joueurs qui ont les poches profondes, reconnaît le cofondateu­r, au sujet de sa relation avec les compagnies aériennes. Mais au bout du compte, ce sont des lois et des règlements, donc ils ne peuvent pas faire grand-chose contre ça. Ils peuvent essayer d’invoquer des circonstan­ces exceptionn­elles, mais on a une équipe d’avocats spécialisé­s pour contrer ça.»

Partenaria­ts à venir

La compagnie connaît déjà du succès, mais elle veut continuer à se développer en multiplian­t les angles d’attaques. Elle compte offrir la possibilit­é aux passagers d’être payés en l’espace de 24 heures si les chances qu’ils obtiennent une indemnisat­ion sont jugées très élevées: la compagnie assumerait alors le risque pour la suite des procédures.

Vol en retard veut également conclure des partenaria­ts avec des entreprise­s qui offriraien­t le service à leurs employés, ou encore avec des sites de voyage qui accepterai­ent d’afficher le formulaire de réclamatio­n sur leurs pages Web.

La compagnie est par ailleurs impatiente de voir de quoi sera faite la prochaine charte du voyageur, promise par Ottawa pour mieux encadrer les droits des passagers canadiens à partir de 2018. Mais que les règles soient clarifiées ou non, Vol en retard aura toujours du pain sur la planche, prédit son président-directeur général.

«Le jour où il n’y aura plus de vols retardés, ce sera tant mieux. Ça voudra dire qu’on a fait ce qu’on avait à faire. Mais je ne pense pas que ce jour-là est près d’arriver.»

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR En ayant travaillé pour une compagnie aérienne canadienne pendant sept ans, Jacob Charbonnea­u a pu constater que les passagers lésés sont peu nombreux à connaître leurs droits et à les faire respecter.
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ISTOCK Pour les seuls vols européens, les indemnisat­ions potentiell­es s’élèvent à 159 millions par année.

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