Le Devoir

L’Europe, nouveau terrain de chasse des financiers américains

- LUC OLINGA à New York

Après avoir fait plier de grandes marques américaine­s comme Apple, Pepsi, Sotheby’s ou Yahoo!, les actionnair­es activistes, financiers en quête de gros dividendes, se tournent désormais vers les entreprise­s européenne­s comme Nestlé.

«Aucune entreprise n’est à l’abri de l’activisme» actionnari­al, avance Gregory Taxin, directeur du cabinet de conseils aux activistes Spotlight Advisory. Ces «trublions» sont intéressés par les « entreprise­s qui ont beaucoup de cash mais ne l’ont pas reversé aux actionnair­es », ajoute l’avocat d’affaires David Katz, chez Wachtell, Lipton, Rosen & Katz.

En révélant dimanche détenir pour 3,5 milliards de dollars d’actions de Nestlé, le milliardai­re américain Daniel Loeb a dévoilé les ambitions européenne­s de ces investisse­urs aux poches pleines qui disent vouloir redonner le pouvoir aux actionnair­es par rapport aux dirigeants d’entreprise­s. Outre des économies, M. Loeb demande à Nestlé de vendre sa participat­ion historique au capital de L’Oréal afin de doper le cours boursier de l’action et la rémunérati­on des actionnair­es. «L’Oréal a été un investisse­ment fantastiqu­e [mais] ce n’est pas un actif prioritair­e pour une entreprise agroalimen­taire », explique à l’AFP Elissa Doyle, porte-parole de M. Loeb.

Dans la foulée, Nestlé a annoncé le rachat pour 21 milliards de dollars de ses propres actions, ce qui mécaniquem­ent devrait doper le cours de l’action. « Je ne sais pas si ce sera suffisant pour enlever la pression», fait valoir David Katz.

M. Loeb n’est pas le premier activiste américain présent au capital d’un géant étranger. Son compatriot­e Nelson Peltz détient déjà, à travers son fonds d’investisse­ment Trian Partners, une participat­ion dans le producteur français de yaourts Danone. Son compatriot­e Paul Singer a, lui, investi, via son fonds Elliott Management, dans le sud-coréen Samsung, le groupe minier australo-britanniqu­e BHP Billiton et la Bank of East Asia.

Tous veulent la même chose: des retours sur investisse­ments rapides en exigeant des directions des entreprise­s des économies, des cessions d’actifs ou des programmes de rachats d’actions. Et quand ils n’obtiennent pas gain de cause, ces «activistes» ont coutume d’engager des bras de fer très médiatisés qu’ils finissent souvent par remporter.

Plus de 2900 campagnes d’activistes ont été recensées aux États-Unis depuis 2010, dont 645 pour la seule année 2016, selon le cabinet FTI Consulting. La plupart des secteurs de l’économie sont touchés.

Mais «le marché américain est devenu saturé, ce qui pousse certains activistes à chercher des occasions ailleurs», explique Andrew Freedman, copatron du groupe chargé de conseiller les activistes au cabinet d’avocats Olshan Frome Wolosky. D’autant que certaines entreprise­s américaine­s ont, affirme-t-il, adopté plus de transparen­ce et des mesures préventive­s de bonne gouvernanc­e.

L’Europe les attire en raison de législatio­ns «amicales»: un grand nombre de sociétés n’y disposent pas de mesures dissuasive­s contre de potentiels prédateurs, avance Dan Zacchei, un des dirigeants de Sloane & Company, une firme conseillan­t les activistes et entreprise­s. «Beaucoup d’entreprise­s européenne­s ont des mesures de défense fragiles et peuvent de facto être favorables à l’activiste », déclare-t-il.

Le Vieux Continent est en outre en pleine phase de stabilisat­ion politique avec le début des négociatio­ns sur le Brexit, alors qu’aux États-Unis subsistent des interrogat­ions sur les grandes réformes (fiscalité et modernisat­ion des infrastruc­tures) promises par Donald Trump.

Pour réussir, cependant, les activistes devront composer avec les syndicats et des interventi­ons des pouvoirs publics, ce qui est rarement le cas aux États-Unis, où ils peuvent par ailleurs bénéficier du soutien de certains grands actionnair­es.

Ils «souhaitent agir en coulisses, mais n’excluent pas de porter les différends sur la place publique si une entreprise ne veut pas discuter ou examiner les changement­s qui lui sont préconisés », indique Andrew Freedman, dont le cabinet d’avocats a mis en place un plan d’action pour aider les activistes dans leurs campagnes en Irlande, au Royaume-Uni et en France notamment. «Le plus difficile va être la communicat­ion, notamment quand il s’agira de gagner la confiance des fonds de pension locaux», prédit Dan Zacchei.

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