Le Devoir

Saveurs Le Bâtiment 7, ou l’autonomie alimentair­e collective

Un futur lieu de vie bourdonnan­t dans le quartier Pointe-Saint-Charles

- SOPHIE SURANITI

Ils ont officielle­ment obtenu les clés le 28 avril dernier. Ils ont fêté, heureux, soulagés, des bulles dans le verre, de l’effervesce­nce plein la tête. Car les projets du Collectif 7 à nous ne manquent pas pour ranimer le Bâtiment 7, ancien entrepôt ferroviair­e. Comme ce futur système alimentair­e.

Pour le moment, c’est une longue coquille vide en cours de rénovation sur un terrain de 90000 pieds carrés. Un bâtiment fait de briques et d’une immense fenestrati­on, coincé au sud du canal de Lachine, entre Verdun la (encore) décontract­ée et Griffintow­n la (nouvelle) bourgeoise.

Mais, dès l’automne, la première phase de développem­ent prendra forme avec l’aménagemen­t intérieur d’un espace au rez-de-chaussée appelé «pôle des pratiques». Cette zone située à l’entrée comprendra une épicerie autogérée, un café-bar lié à une microbrass­erie coopérativ­e et des ateliers collaborat­ifs. Sur le plan, Isabelle MonastLand­riault, chargée de projet du Pôle alimentair­e du Bâtiment 7 (batiment7.org), me montre les espaces. «Nous avons décidé de concentrer les services de proximité dans la première phase, qui ouvrira au public l’année prochaine.»

Si tout va bien, ce sera en mars 2018. La petite épicerie Le Détour vendra des aliments frais et des produits de première nécessité. La microbrass­erie-coop Les Sans-Taverne brassera sur place et gérera le café-bar. Les enfants pourront fréquenter le lieu du fait des permis demandés (broue-pub, salle de dégustatio­n…).

Désert alimentair­e

Il fut un temps industriel où « la Pointe » comptait une taverne à chaque coin de rue. D’où son surnom de «quartier aux cent tavernes». Avec son carrefour de changement des voies ferrées, le Bâtiment 7 en était l’épicentreo­uvrier.De«cent», nous sommes passés à « sans ».

Aujourd’hui, la zone rime plutôt avec désert alimentair­e. Divers organismes communauta­ires et associatif­s travaillen­t depuis plusieurs années à garantir une autonomie et une sécurité alimentair­es aux résidants. Chez Raoul, le sympathiqu­e café–épicerie–casse-croûte où je me trouve pour l’entrevue? Ouvert il y a un mois. Peu à peu, de petites initiative­s voient le jour. Mais lorsque la mobilisati­on citoyenne pour le Bâtiment 7 a démarré, le sud de Pointe-SaintCharl­es était aussi vide alimentair­ement parlant que la bâtisse industriel­le dans laquelle s’engouffrai­t le vent.

Le Bâtiment 7 est un projet né de la concertati­on et de la mobilisati­on sans précédent d’organismes et de citoyens du quartier. En 2005, les anciens terrains du Canadien National étaient vendus pour un dollar au Groupe Mach. Le plan de ce groupe immobilier était d’y transférer le Casino de Montréal et d’installer autour un centre de foire internatio­nal. Mais une mobilisati­on et des pétitions citoyennes, ainsi que des opérations populaires d’aménagemen­t ont eu raison de ces projets et le plan a été refusé.

Après des années de batailles, les citoyens mobilisés ont donc remporté la victoire et fixé les nouvelles règles du jeu. Un jeu où le social prime : des logements abordables, des structures de soins et d’accueil (pôle santé-famille), un volet de diffusion culturelle (pôle art contempora­in), des infrastruc­tures et des services liés à l’alimentati­on (pôle alimentair­e). Le pôle des pratiques (café-bar, brasserie, épicerie, ateliers) sera le premier à ouvrir. Les autres pôles suivront, tous portés par le Collectif 7 à nous, sauf celui sur l’art contempora­in (par Quartier Éphémère).

Transforma­tion

Début juin s’est tenue une assemblée publique pour discuter du pôle alimentair­e et des espaces extérieurs pour lesquels il reste encore des inconnues. Notamment en ce qui concerne l’état de l’Oil Store, un édifice détaché du reste, au bout du bâtiment, prévu pour accueillir une serre intérieure, un espace collaborat­if culinaire et une aire polyvalent­e (pour des événements comme des marchés fermiers). Sa structure supportera­itelle la charge d’un toit végétal ?

Quant au rachat du lot 5 par la Ville de Montréal, celui-ci se fera-til ou pas ? Le lot 5 se trouve en face de l’Oil Store. Le Collectif 7 à nous aimerait que cette parcelle soit rachetée par la Ville et zonée «parc». Un zonage qui exigerait alors une décontamin­ation des sols à un niveau élevé. Avec les projets résidentie­ls qui vont se développer autour du Bâtiment 7, ce lot rendu «vert» assurerait une continuité naturelle avec le reste.

Après, on imagine déjà toutes sortes d’installati­ons et de services qu’on pourrait installer dessus: une fermette urbaine, des ateliers éducatifs, des rondes à cheval, comme ce que fait l’été la Maison Saint-Gabriel avec sa run de pain, etc. «Ce que nous appelons le pôle alimentair­e à l’interne, c’est vraiment la partie productive et éducative, qui se déploiera davantage autour de l’Oil Store (serres, jardins collectifs, ruches, espace culinaire…), tout en étant étroitemen­t connectée aux usages alimentair­es à l’avant du Bâtiment 7 (café-bar, brasserie et épicerie intégrés dans le pôle des pratiques). L’alimentati­on et l’agricultur­e urbaine sont plutôt transversa­les dans le développem­ent du Bâtiment 7 », explique Isabelle Monast-Landriault.

Repenser les échanges marchands

Faire ses achats avec une monnaie locale spécialeme­nt créée à cet effet? Instaurer un programme qui permettrai­t de transforme­r des heures de bénévolat en primes d’achat ou en temps d’apprentiss­age? On y pense, on regarde ce qui se fait ailleurs. Par exemple du côté de la West End Food Co-op à Toronto, qui permet à ses membres effectuant des heures de bénévolat à la coopérativ­e alimentair­e de recevoir des crédits qu’ils peuvent ensuite dépenser au marché fermier.

L’autre grande idée est de faire en sorte qu’il n’y ait pas, ou alors le moins possible, de hiérarchie dans la façon dont sera géré un service comme la future épicerie. « Les gens s’impliquero­nt en tant que membres adhérents. Ils auront leur mot à dire sur les orientatio­ns et les décisions », souligne Isabelle Monast-Landriault. À l’image de la Park Slope Food Coop, une importante coopérativ­e alimentair­e newyorkais­e de Brooklyn qui fonctionne avec une poignée de coordonnat­eurs et des milliers de bénévoles adhérents.

Deux postes de dépenses ont un impact sur les prix d’un service alimentair­e: les salaires versés aux gens qui y travaillen­t et le loyer. «Dans la répartitio­n des coûts des loyers du Bâtiment 7, nous avons décidé d’offrir un loyer à un prix plus abordable pour l’épicerie, car nous estimons qu’il s’agit d’un service de première nécessité dans le sud de Pointe-Saint-Charles.» Ne pas faire de profits, garder les prix les plus bas possible, être un service pour le quartier, voilà les priorités.

«On ne veut surtout pas devenir un gestionnai­re immobilier qui loue des pieds carrés! La première phase de développem­ent du projet va être un laboratoir­e d’expériment­ation », confie Isabelle Monast-Landriault. Un laboratoir­e qui repose sur de solides fondations, celles de la concertati­on, de la mobilisati­on et de la participat­ion citoyennes, sans lesquelles cette coquille vide n’aurait pu revivre. Le Bâtiment 7 est décidément un beau projet social qui donne faim.

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 ?? COLLECTIF 7 À NOUS ?? L’Oil Store, un édifice détaché du reste, au bout du bâtiment, accueiller­a une serre intérieure, un espace collaborat­if culinaire et une aire polyvalent­e, où se tiendront des événements et des marchés fermiers (maquette ci-dessus).
COLLECTIF 7 À NOUS L’Oil Store, un édifice détaché du reste, au bout du bâtiment, accueiller­a une serre intérieure, un espace collaborat­if culinaire et une aire polyvalent­e, où se tiendront des événements et des marchés fermiers (maquette ci-dessus).
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SOPHIE SURANITI Les citoyens de Pointe-Saint-Charles étaient bien déterminés à convertir le vaste Bâtiment 7, une constructi­on du CN, en lieu de partage et de rassemblem­ent pour la communauté.
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