Pavillons nationaux : crises sociales et immersion sensorielle
Pour la 57e Biennale de Venise, l’offre des pavillons nationaux n’est pas saisissante, mais comporte assez de propositions intéressantes pour y trouver son compte.
Au nombre de 84, près du record de 89 établi en 2011 et 2015, les pavillons nationaux continuent de caractériser l’événement disséminé dans la Sérénissime, la plus ancienne des biennales d’arts visuels. La majorité des pays présents sont récurrents d’une édition à l’autre, mais des nouveaux s’ajoutent toujours alors que d’autres vont et viennent au gré de leur situation sociopolitique.
Parmi les pays établis, il y a la Chine, dont la représentation est assurée par les circuits officiels offrant une sélection souvent divergente de celle retrouvée dans l’exposition thématique internationale, l’autre composante majeure de la Biennale. Aussi, le meilleur de l’art chinois n’est pas dans son pavillon ni dans l’événement collatéral Memory and Contemporaneity. China Art Today, mais dans l’exposition centrale orchestrée cette année par Christine Macel.
Avec le soutien de la Ruya Foundation, l’Irak se démarque malgré les tensions qui agitent le pays menacé par le groupe EI. C’est d’ailleurs la toile de fond de l’exposition présentée au palazzo CavalliFranchetti dans une formule originale qui permet d’aborder la polysémie de son thème, « Archaic », en combinant des artefacts de l’Irak Museum avec des productions modernes et actuelles.
Giardini
Il reste que l’attention se tourne plus vite sur les pavillons concentrés dans les Giardini, où le Canada a sa place, et à l’Arsenal, les deux sites principaux, où se décline également l’exposition thématique. C’est Anne Imhof pour l’Allemagne qui a remporté le Lion d’or pour la meilleure participation nationale avec son Faust, variation d’un projet qui a par ailleurs fait escale chez nous, au Musée d’art contemporain de Montréal (MAC). Le pavillon est transformé en cage de verre où évolue une troupe de danseurs, des figures postgenrées à la présence troublante et hypnotique, des corps aussi enrégimentés qu’insoumis.
Les codes qui unissent les performeurs semblent se définir au fur et à mesure, point commun avec la France, version plus chaleureuse. Xavier Veilhan y a construit un studio d’enregistrement, façon Merzbau du dadaïste Kurt Schwitters, offert aux musiciens volontaires. Enveloppante est aussi l’installation de Phyllida Barlow pour la Grande-Bretagne. Ses formes organiques monumentales, mais de modeste constitution, ébranlent efficacement l’autorité architecturale du pavillon.
Dans une rhétorique formelle similaire, Mark Bradford occupe le pavillon étatsunien. Parcours entravé et enveloppe architecturale en décombres se transforment en tableaux abstraits majestueux, pourtant conçus de viles matières. En parallèle, l’artiste a développé un projet avec des communautés éprouvées de Venise visant leur réhabilitation sociale. La formule est heureusement bien distincte de celle, plus susceptible d’instrumentaliser les participants, adoptée par Olafur Eliasson dans l’exposition thématique.
La Roumanie y va d’une valeur sûre avec le travail notoire de Geta Bratescu, une rétrospective importante qui n’a cependant pas l’attrait des interventions in situ en général prisées à la Biennale.
Crise des réfugiés
À l’Arsenal, l’imposant pavillon italien se taille la part du lion avec une exposition autour de la magie. Elle n’a jamais paru aussi noire qu’avec l’installation de Roberto Cuoghi, qui dresse un inquiétant atelier de sculptures secrétant plus que la matière seule de la figure multipliée du Christ. Des ressorts psychologiques sont autrement invoqués par Vajiko Chachkhiani pour la Géorgie. Tirée de la campagne, une maison en bois est en proie à une pluie continue, métaphore d’une vie malmenée. Le travail de cette artiste née à Tbilissi est à voir aussi dans l’événement collatéral Future Generation Art Prize.
Cette Biennale ne passe pas à côté de la crise des réfugiés. Dans l’esprit des utopies universelles des avant-gardes, Carlos Amorales (Mexique) a inventé un langage pour raconter une histoire d’exclusion qui s’incarne avec grande beauté dans les formes et les sons de flûtes. Candice Breitz (Afrique du Sud), elle, donne voix à des réfugiés par le truchement, d’abord, de vedettes du cinéma hollywoodien.
Quant à la Tunisie, nulle vedette pour la représenter, pas même le nom d’un ou une artiste, mais que des collaborations et le public qui est invité à se procurer un visa universel auprès de trois kiosques. La proposition amuse par sa candeur tout en s’extrayant de la logique célébrationnelle de mise à la Biennale.
57E BIENNALE DE VENISE Lieux divers dans Venise jusqu’au 26 novembre