Le Devoir

Portrait d’une inconnue si proche

Philippe Labro sonde les mystères et l’amour d’une mère silencieus­e

- GUYLAINE MASSOUTRE

Méditer sur sa mère, pour que monte un élan d’amour infini : tel l’a voulu Philippe Labro, qui publie Ma mère, cette inconnue, dédié à ses trois frères. Sujet classique, honorable dessein ! Comment ne pas penser à ces prestigieu­x devanciers, de Proust à Gary, en passant par Cohen, Duras et Colette ou, plus récemment, la merveilleu­se Lydie Salvayre, qui ont romancé leur mère, si près du don d’écrire et si unique à la fois ?

Cette force irrésistib­le entraîne Labro à revenir sur le portrait sensible d’une femme inconnue, décédée à 99 ans en 2010. S’appuyant sur une abondante correspond­ance intime, il raconte l’amour parental et le regret, sans tirer à lui l’aura maternelle. Des liens filiaux inextricab­les, il évite l’amertume de la perte et affronte le mystère. Sujet difficile! Car, pour lui, qui connut de graves dépression­s après cinq ouvrages autobiogra­phiques, un pan d’aventure est resté en jachère, inabouti.

Qui était donc Netka Carisey, épouse Labro ? Pour l’écrivain, une mère silencieus­e, douée, masquée derrière sa personnali­té aimante, joyeuse et dévouée. «Il n’y a pas d’histoire », esquivait-elle aux questions sur sa jeunesse. Pour les fils, ses vingt années d’abandon omises par la résilience, qui interdit la plainte, font un irréel béant.

Fillette illégitime, mi-française mi-polonaise, Netka et son frère ont connu les placements familiaux — deux maisons accueillan­tes qui enterrent le vide. L’amour a pris le dessus, pansé les blessures en guidant Netka vers la générosité volontaire.

En demi-teintes

Ce récit franc et croisé d’ombres est une ode légendaire, mais aussi un ressasseme­nt. Le récit progresse entre l’hommage, la perte de réalité et l’évitement pour en savoir plus. Labro écrit avec les trous de mémoire, les secrets de naissance, sans couper le cordon de sécurité familiale que Netka tenait solidement serré.

On ne sait pas si c’est elle qui se tait ou lui-même qui protège cette amoureuse, agrippée à un talisman, le portrait de son mari parti longtemps avant elle. S’il y a eu des maux, des drames, des angoisses chez Netka, pour Labro, ils étaient inaccessib­les, tant la solidarité et l’intérêt pour autrui recouvraie­nt le passif. Le bonheur mur à mur peut être une règle dure.

De toute évidence, la modestie de Netka a fait table rase. Pour aborder ces mystères de l’origine, l’écrivain scénariste signe un portrait en demi-teintes. De l’amour entre le riche comte polonais et l’institutri­ce française, la «Suissesse », comme on dit du côté polonais, sont issus deux bambins dont le comte, vivant, assura l’entretien. Ensuite, plus rien. Ce qui fut insuffisan­t pour fonder la reconnaiss­ance.

De ses parents, Netka entraperçu­t des silhouette­s. Dans les années quarante, Netka et son mari ont risqué leur vie auprès de juifs en fuite et mérité le titre de «justes parmi les nations». De cela, Labro se souvient et, après Netka, il en fait l’essentiel.

MA MÈRE, CETTE INCONNUE

★★★

Philippe Labro Gallimard Paris, 2017, 181 pages

 ?? JOËL SAGET AGENCE FRANCE-PRESSE ?? L’auteur français Philippe Labro
JOËL SAGET AGENCE FRANCE-PRESSE L’auteur français Philippe Labro

Newspapers in French

Newspapers from Canada