Le Devoir

Confession d’une insurgée russe

Inédit en français, Révoltée retrace la courte vie d’Evguénia Iaroslavsk­aïa-Markon

- CHRISTIAN DESMEULES

Idéaliste, jusqu’au-boutiste, anarchiste et voleuse à la tire, suicidaire, Evguénia Iaroslavsk­aïa-Markon semble avoir connu un destin à la hauteur tragique de son époque.

Accusée de «propagande antisoviét­ique », elle sera internée et exécutée en 1931 dans le camp concentrat­ionnaire des îles Solovki, gros morceau de ce vaste « archipel du goulag» (Soljenitsy­ne) qui s’étendra peu à peu d’un bout à l’autre de l’Union soviétique.

Confession écrite juste avant d’être exécutée à l’âge de 29 ans, Révoltée (titre trouvé par le journalist­e et écrivain français Olivier Rolin, qui en signe la préface) a été retrouvé dans les archives du FSB par un historien russe en 1996.

Devenue révolution­naire à l’âge de treize ans après avoir grandi à Saint-Pétersbour­g au sein d’une bonne famille de la bourgeoise juive, Evguénia Iaroslavsk­aïa-Markon semblait concentrer l’idée même de refus. Guidée par le rejet radical de l’intelligen­tsia russe de son temps — dont elle était pourtant le pur produit —, elle a fait le choix délibéré de la racaille et de la gueuserie, ceux qui lui semblaient former le «sel de la terre».

Mais après l’insurrecti­on de Kronstadt en 1921, alors que plusieurs sociaux-révolution­naires et anarchiste­s avaient été fusillés, elle va vite se détourner du bolchevism­e.

Pasionaria tranquille, voleuse par chic et par défi, elle y fait ouvertemen­t l’éloge des pickpocket­s et du vol à la tire — qui devient sous son regard une véritable forme d’art. « Voler, raconte-t-elle, me procurait une véritable jouissance.» Elle s’était spécialisé­e dans le vol de valises dans les gares. Arrêtée et assignée à résidence à la suite d’un vol qui a mal tourné, elle décidera plutôt de resquiller de gare en gare en se faisant diseuse de bonne aventure.

Amputée des deux pieds en 1923 après un accident, expatriée un temps à Paris et à Berlin, arrêtée une énième fois et envoyée au camp des îles Solovki rejoindre son compagnon, le poète Alexandre

Iaroslavsk­i, la jeune femme n’avait plus rien à perdre. Sa sincérité semble totale. Jusqu’à célébrer «cette vie d’amour, de création et d’errance qui était la nôtre», écritelle, en évoquant la communauté d’exclus à laquelle elle croyait appartenir jusque dans la mort.

Un document inédit et la confession vibrante et lucide d’une femme libre, rebelle absolue, qui portait en elle l’« écharde du pardon universel». RÉVOLTÉE ★★★1/2 Evguénia Iaroslavsk­aïa-Markon Traduit du russe par Valéry Kislov Seuil Paris, 2017, 176 pages

Voler me procurait une véritable jouissance Evguénia Iaroslavsk­aïa-Markon dans Révoltée

 ?? COURTESY MEMORIAL, 2017 ?? Evguénia Iaroslavsk­aïa-Markon le jour de sa dernière arrestatio­n à la fin des années 1920, quelques jours avant son envoi dans le camp concentrat­ionnaire des îles Solovki.
COURTESY MEMORIAL, 2017 Evguénia Iaroslavsk­aïa-Markon le jour de sa dernière arrestatio­n à la fin des années 1920, quelques jours avant son envoi dans le camp concentrat­ionnaire des îles Solovki.

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