Un fléau difficile à quantifier faute de signalements
Des citoyens s’organisent sans les autorités pour limiter ce phénomène en hausse constante
Alors que le nombre de vélos disparaissant entre les mains de malfaiteurs ne cesse d’augmenter chaque année à travers le Québec, les citoyens s’organisent pour enrayer le problème et retrouver leur bien.
De Montréal à Québec, en passant par Sherbrooke et les petites villes de la province, le vol de vélo est devenu un problème récurrent. L’ampleur du phénomène demeure toutefois sous-évaluée par les autorités, d’après les regroupements de cyclistes, qui constatent que la grande majorité des vols ne sont jamais signalés.
À Montréal, 2137 personnes ont rapporté au service de police s’être fait voler leur vélo en 2016. Ils étaient 1838 à être concernés en 2011.
Reconnaissant que le problème perdure d’année en année, l’inspecteur-chef André Durocher, porte-parole du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), ne s’inquiète pas outre mesure de cette constante augmentation. Il estime que les chiffres officiels ne font que «suivre la croissance normale liée à la multiplication des utilisateurs du vélo».
Il admet par contre qu’il est difficile de dresser correctement un portrait d’ensemble en se fiant uniquement au nombre de plaintes enregistrées par le SPVM. «Comment bien évaluer quand la plupart des victimes ne rapportent pas le vol? On n’arrêtera jamais de les encourager à venir le faire. »
Les organismes valorisant ce moyen de transport estiment quant à eux qu’un cycliste sur deux s’est déjà fait subtiliser son vélo à Montréal. «C’est approximatif, mais on réalise en parlant avec les gens qu’une personne sur cinq seulement prend la peine de déclarer le vol à la police», explique la présidente de Vélo Québec, Suzanne Lareau. Elle regrette «cette habitude des cyclistes» qui ne permet pas de rendre compte de l’importance du problème.
L’inspecteur-chef André Durocher peine à s’expliquer ce comportement. Il rappelle que depuis quelques années le SPVM met à disposition des Montréalais un formulaire en ligne afin de les encourager à déclarer un vol sans avoir à se déplacer.
Alors, pourquoi ne pas prendre la peine de le remplir? «Parce que les cyclistes n’ont souvent aucune preuve d’achat, aucune photo de leur vélo, ni même de numéro de série à donner à la police», fait remarquer Suzanne Lareau.
Elle ajoute que leur bicyclette disparue vaut généralement moins que la franchise demandée d’environ 500$ pour percevoir une exemption des compagnies d’assurances, ce qui fait perdre toute motivation d’entreprendre les démarches.
Un manque d’actions?
De leur côté, plusieurs cyclistes estiment que trop peu d’actions sont entreprises par le SPVM et les politiciens pour prévenir ou bien punir ces vols à répétition.
«C’est bien beau les séances de burinage [pour numéroter son vélo] mais c’est toujours en pleine journée, quelques heures à peine, quand personne ne peut vraiment s’y rendre », note Dominique Audet, un des administrateurs du groupe Facebook Vélo volé Montréal. Avec d’autres citoyens, découragés par ce « fléau urbain », il consacre une grande partie de son temps libre à rechercher les vélos des autres. Il a notamment créé une carte interactive (velocalisateur.com) répertoriant l’endroit où ceux-ci ont été aperçus pour la dernière fois par leur propriétaire.
En quatre ans, près de 5000 membres ont uni leurs forces dans le groupe pour s’entraider. Un groupe similaire a aussi été créé pour la ville de Québec, et avoisine les 500 membres. Et les multiples annonces de citoyens désemparés, à la recherche de leur vélo, témoignent davantage de l’ampleur du phénomène. «En pleine saison, lorsque le printemps revient, ce sont en moyenne de 20 à 25 vélos volés à Montréal par semaine qui sont indiqués sur le groupe», soutient M. Audet. Soit beaucoup plus que les chiffres officiels de la police, mais encore loin de la réalité sur le terrain, croit-il.
Une autre initiative citoyenne a vu le jour en 2009, le site Internet Vélo retour. Après avoir tenté en vain de retrouver les vélos de ses deux fils, Richard Provost a constaté le manque de ressources disponibles pour aider les citoyens dans une telle situation. Il a donc décidé de lancer son propre site pour venir en aide aux cyclistes.
Le principe est simple : en échange de 15dollars, Vélo retour fourni un autocollant avec le numéro de série du vélo, qui permettra à la police de retrouver plus facilement son propriétaire en cas de vol.
Pour Suzanne Lareau, c’est important de pouvoir retrouver ce type d’initiatives dans la société. «Ça permet d’avoir une sorte de vigie citoyenne, car on ne peut pas s’attendre à ce que l’État, le politique fassent toujours tout pour nous.»
Le porte-parole de la coalition, Daniel Lambert, juge pour sa part que le manque de supports à vélo ajoute au problème. « Il y a un besoin criant de matériel urbain pour accrocher les vélos, surtout au centre-ville et dans le Vieux-Montréal », souligne-t-il.
Des précautions prises à la légère?
Aux yeux de Richard Provost, les cyclistes ont aussi une part de responsabilité dans leur propre malheur. « Ils sont effondrés lorsque leur vélo disparaît, mais ils ne font rien avant pour l’éviter, déplore-t-il. L’enregistrer, c’est pourtant rapide et simple, mais ils remettent toujours à plus tard et finalement oublient. »
Selon lui, cela devrait même être obligatoire. «Je verrais bien une loi permettant aux gens d’avoir jusqu’à trois ans pour enregistrer leur vélo. »
En attendant, «bien barrer son vélo reste le b.a.-ba», d’après Mme Lareau. Se munir d’un cadenas efficace — celui en U est le plus conseillé — est de la responsabilité du cycliste, estime-t-elle.
André Durocher, du SPVM, rappelle qu’un vol de vélo reste en effet un « vol d’opportunité », précisant qu’on cherchera toujours à dérober en premier le vélo mal cadenassé plutôt que le plus cher, « qui est généralement mieux protégé en raison de sa valeur ».
«Tout le monde contribue au système, et l’encourage même en achetant des vélos qu’on sait pertinemment volés. C’est comme une roue qui tourne dans le mauvais sens», se désole Suzanne Lareau.
Cercle vicieux
Elle croit urgent de sensibiliser les citoyens à ce problème pour espérer un jour l’enrayer complètement. Ils devraient notamment rester vigilants lorsque quelqu’un leur offre une bicyclette en bon état dans la rue en échange de quelques dizaines de dollars.
Et le principe s’applique aussi pour les sites d’annonces en ligne, tels que Kijiji ou Craigslist, sur lesquels il est courant de retrouver des vélos de bonne qualité à un prix dérisoire, ou bien même en pièces détachées. «Le marché noir est bien plus gros qu’on le pense, soutient-elle. On l’alimente, malheureusement. »
«Comment bien évaluer le vol quand la plupart des victimes ne le rapportent pas?»