Le Devoir

Festival de jazz. Quand Joshua Redman célèbre son père célèbre.

- GUILLAUME BOURGAULT-CÔTÉ

Pour autant que Joshua Redman se souvienne, le projet Still Dreaming a pris vie… précisémen­t durant une cérémonie organisée pour marquer le décès du légendaire contrebass­iste Charlie Haden. Comme si le départ de ce dernier lui avait ouvert toute grande une porte à laquelle il n’osait pas cogner.

«J’ai participé à cette cérémonie hommage en janvier 2015, et ça a été une expérience très profonde et émouvante, confiait Redman au téléphone la semaine dernière. J’ai aussi réalisé à ce moment que c’était le dernier membre du Old and New Dreams (OND) à mourir. »

OND est un groupe qui a marqué l’histoire du jazz tout en restant actif relativeme­nt peu longtemps (milieu des années 1970 au milieu des années 1980). Haden, Don Cherry (trompette), Ed Blackwell (batterie) et le saxophonis­te Dewey Redman — père de Joshua — formaient ce quartet créé pour célébrer la musique du maître du free jazz, Ornette Coleman, avec qui les quatre musiciens ont tous joué plusieurs années.

Le Dictionnai­re du jazz (Robert Laffont) souligne dans son entrée consacrée à OND que ce groupe connaissai­t mieux que quiconque « l’insistante nouveauté» de l’approche Coleman, « la résistance à l’usure, la beauté ludique». « Le ton est chez eux à la célébratio­n », ajoute-t-on.

Ainsi, Joshua Redman s’est replongé après le rite funéraire musical dans le matériel laissé par Old and New Dreams — quatre disques au total. «J’ai réécouté tout ça en réfléchiss­ant à l’héritage laissé par ce groupe : la manière dont ils jouaient a été très importante pour moi et pour d’autres. Et de savoir qu’ils étaient tous morts, c’est comme si j’avais eu le signal disant: OK, on peut jouer maintenant ! »

Partant de là, Still Dreaming — nom du quartet qu’il dirige à Montréal ce mardi soir — a rapidement été mis sur pied. La formation? Son vieux et formidable complice à la batterie, Brian Blade (qui partage avec Blackwell les mêmes racines ancrées à La NouvelleOr­léans); le contrebass­iste Scott Colley (ancien étudiant de Haden) et le trompettis­te Ron Miles (un disciple de Cherry). «Tout le monde a une forte connexion avec le musicien correspond­ant dans le OND», résume Redman.

Filiation

La sienne est la plus évidente de toutes. Et même s’il a déjà joué et enregistré à ses côtés, c’est bien la première fois que Joshua Redman marche aussi clairement dans les pas de son père, décédé en 2006 — et qu’il n’a pas tant connu enfant, puisque c’est sa mère qui l’a élevé.

«Je n’ai jamais aussi explicitem­ent fait référence à l’influence de mon père dans ma musique, reconnaît-il d’emblée. Nécessaire­ment, cela fait de Still Dreaming un projet spécial pour moi. Je ne sais pas si on est jamais prêt pour ça, mais je suis à l’aise avec l’idée, et surtout avec le fait de la faire entouré de Blade, Colley et Miles. À ce stade de ma carrière [entamée au début des années 1990], je sens que je peux explorer sa musique de mon côté, à ma façon. »

Ce qui fait qu’il ne sent pas de poids particulie­r peser sur ses épaules ni de pression flotter autour du projet. «On ne porte aucun fardeau dans Still Dreaming, ni celui de mon père ni celui d’Ornette Coleman ou de Charlie Haden, dit Joshua Redman. Je comprends que cette question des filiations fait une histoire évidente à raconter, mais d’une certaine façon, pour moi, c’est simplement un autre groupe qui veut jouer de la bonne musique et connecter avec le public.»

De la bonne musique ? Assurément. De la musique exigeante, aussi : après tout, OND était une « célébratio­n » — Redman insiste sur ce mot — de l’oeuvre sans concession d’Ornette Coleman. Pour Redman, il y a là un héritage majeur… et beaucoup de liberté. « OND n’était pas un groupe hommage, et nous ne sommes pas un groupe hommage. On joue “dans l’esprit de”. Il y a un point de départ, un son, une attitude, mais on est loin d’un groupe hommage aux Beatles.»

Un esprit, donc, qui ramène tant à Coleman qu’à OND. Retour au Dictionnai­re du jazz, qui dit ainsi l’impact du grand novateur que fut Coleman: il a «bouleversé ce que le jazz, déjà renversé par Monk ou Mingus, avait d’assis ». « C’est une musique de grande innovation, ajoute Joshua Redman, où l’approche de l’innovation est complèteme­nt libre et différente, sans schémas harmonique ou rythmique imposés. C’est aussi là l’essence de Old and New Dreams, qui est arrivé à combiner cette approche très free avec une grande pureté, simplicité, profondeur, lyrisme… C’est à la fois une musique qui demande des efforts et qui est très accessible.»

En concert, Still Dreaming puisera à la fois dans le répertoire de OND (donc de Coleman) et proposera du matériel original. Dans l’esprit de, mais librement. STILL DREAMING À la Maison symphoniqu­e, à 19 h. Programme double entamé par le pianiste Danilo Pérez.

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 ?? JON BROWN ?? Le batteur Brian Blade, le trompettis­te Ron Miles, le contrebass­iste Scott Colley et le saxophonis­te Joshua Redman du projet Still Dreaming puiseront dans le répertoire de Old and New Dreams tout en proposant aux Montréalai­s du matériel original.
JON BROWN Le batteur Brian Blade, le trompettis­te Ron Miles, le contrebass­iste Scott Colley et le saxophonis­te Joshua Redman du projet Still Dreaming puiseront dans le répertoire de Old and New Dreams tout en proposant aux Montréalai­s du matériel original.

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