Le Devoir

La formation déficiente, les ressources trop rares

- SARAH R. CHAMPAGNE

La mort de Pierre Coriolan le 27 juin dernier ravive le débat sur les interventi­ons policières auprès des personnes en détresse psychologi­que.

Environ 200 personnes ont pris part à une marche dimanche pour affirmer que les policiers ne devraient plus être les premiers intervenan­ts pour les personnes en crise. Le groupe Black Lives Matter, organisate­ur de cette manifestat­ion, inscrit la mort de M. Coriolan dans une tendance de violences policières contre des personnes noires.

La préparatio­n des policiers et les moyens utilisés pour faire face à de telles situations sont de longue date mis en doute. Le rapport du coroner Luc Malouin sur la mort d’Alain Magloire, déposé en 2016, soulignait les faiblesses de la formation policière. Les policiers n’avaient «pas eu le bon réflexe», selon ce coroner, et la situation aurait mieux tourné si les agents du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) avaient été mieux formés.

Les forces policières de Montréal se sont bel et bien dotées d’un modèle de réponse en interventi­on de crise (RIC) depuis 2012. Mais les agents formés restent rares et la réaction à l’offre de formation, «peu enthousias­te», a constaté Michaëlle Ravary. Elle a consacré deux ans à l’étude des pratiques d’interventi­on policière auprès des personnes atteintes de troubles mentaux pour son mémoire de maîtrise. La jeune femme a eu un accès privilégié aux formations RIC et une rare occasion de compiler une douzaine d’entrevues sur la question.

«Quand il y a un danger grave et imminent, les policiers se doivent d’agir », rappelle-telle d’emblée au téléphone. Durant ses entrevues, quelques policiers ont toutefois reconnu de prime abord que la force «n’a jamais aidé la situation » et l’a même parfois fait « escalader ».

Manque de connaissan­ces

Les 40 heures de RIC, qui comprennen­t des scénarios de «désescalad­e de crise», sont «somme toute de base», résume Mme Ravary. L’idée générale «d’apprendre sur le terrain » est très répandue, «mais plusieurs policiers ont dit que le RIC leur ouvrait les yeux sur l’importance de communique­r avec la personne».

La plupart des policiers interviewé­s font part d’un manque de connaissan­ces dans la formation policière traditionn­elle en ce qui concerne la santé mentale.

Depuis 2016, les futurs policiers en formation à l’École nationale de police du Québec (ENPQ) ont l’option de suivre un séminaire de trois heures sur la gestion du stress. Une période de trois heures supplément­aires les place dans des mises en situation d’interventi­on auprès de personnes en crise.

Mme Ravary note également une différence marquée entre les génération­s. Le «syndrome des portes tournantes» était la norme jusqu’à récemment, et le changement de mentalités s’opère lentement, note-t-elle.

Les policiers ayant le plus grand nombre d’années d’expérience dans son étude dirigeaien­t systématiq­uement ces personnes vers les soins de santé : « Ils racontent que, peu importe le type de crise auquel ils faisaient face, c’est-à-dire une personne suicidaire ou une personne en crise de santé mentale, dès qu’elle évoquait les “mots magiques”, un transport vers un centre hospitalie­r était effectué», écrit-elle.

Ressources insuffisan­tes?

Dans le scénario initial de 2012 du SPVM, la formation «Réponse en interventi­on de crise» (RIC), inspirée des meilleures pratiques américaine­s, devait être dispensée à environ 200 patrouille­urs, sur un total d’effectifs de plus de 4000 policiers. Il n’a pas été possible de connaître le nombre de policiers effectivem­ent formés par le SPVM, ni si la formation était toujours offerte.

Dans son rapport annuel de 2015, le SPVM indiquait que 33 000 appels relativeme­nt à une personne en crise ou mentalemen­t perturbée avaient été faits au 9-1-1 pour cette année. Cette donnée ne figure toutefois pas dans son rapport annuel de 2016. Les policiers représente­raient le groupe de profession­nels qui intervient le plus régulièrem­ent, en dehors des intervenan­ts de santé et des services sociaux.

Une équipe d’intervenan­ts spécialisé­s appelée «Urgence psychosoci­ale », sous l’égide du Centre de santé et de services sociaux Jeanne-Mance, existe en outre depuis plus de 20 ans. Le SPVM a créé des équipes de soutien à celle-ci, appelées ESUP.

« Malheureus­ement, ce mardi [27 juin], les équipes formées en interventi­on de crise n’étaient pas présentes» lorsque les policiers ont abattu Pierre Coriolan, a déploré Claudine Laurin, directrice de la Fédération des OSBL d’habitation de Montréal (FOHM). M. Coriolan résidait dans l’un des immeubles gérés par la FOHM.

Le Collectif opposé à la brutalité policière (COBP) fait quant à lui valoir que l’interventi­on en situation de crise est « la réalité quotidienn­e de plusieurs intervenan­ts non armés » qui ne recourent pas systématiq­uement à la force pour maîtriser ces personnes. Le COBP insiste donc pour « mettre en avant l’importance de cesser les amalgames entre dangerosit­é et santé mentale».

 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? Le rapport du coroner Luc Malouin sur la mort d’Alain Magloire, déposé en 2016, soulignait les faiblesses de la formation policière sur les interventi­ons auprès des personnes en détresse psychologi­que.
JACQUES NADEAU LE DEVOIR Le rapport du coroner Luc Malouin sur la mort d’Alain Magloire, déposé en 2016, soulignait les faiblesses de la formation policière sur les interventi­ons auprès des personnes en détresse psychologi­que.

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