Le Devoir

Rêver un impossible rêve…

Les rêves prémonitoi­res n’existent pas, ni la vérité sur leur sens

- ISABELLE BURGUN

Tout le monde rêve, même si certains s’en souviennen­t plus que d’autres. Rêver est une expérience universell­e et la recherche d’explicatio­ns est presque aussi vieille que le monde. Mais qu’en dit la science? Le Détecteur de rumeurs de l’Agence Science-Presse s’est entretenu avec le spécialist­e montréalai­s Antonio Zadra… entre rêve et réalité!

«Nous ne nous souvenons que d’une faible fraction de nos rêves vie» issus des 52 000 heures de sommeil paradoxal de notre Le chercheur Antonio Zadra

Les rêves prémonitoi­res, ça existe? Douteux! Beaucoup de gens croient qu’il est possible de voir l’avenir dans nos rêves. «De nombreux chercheurs, moi y compris, reçoivent des courriels, après les événements, de gens qui veulent nous annoncer qu’ils ont rêvé d’un tremblemen­t de terre ou d’un tsunami. Mais nous avons remarqué que c’est toujours rétrospect­if», explique Antonio Zadra, du Labo des rêves de l’Université de Montréal. Autrement dit, l’interpréta­tion des rêves se fait toujours après l’événement.

La neurologue Isabelle Arnulf et ses collègues ont voulu en avoir le coeur net. Elle a testé en 2014 l’hypothèse des rêves prémonitoi­res auprès de 719 étudiants français en médecine, à l’approche de leur examen. Résultat: 60% des étudiants avouaient avoir rêvé à cet examen. Sur le lot, trois rêveurs sur quatre (78%) avaient anticipé un retard, un oubli, des erreurs ou une incompréhe­nsion de l’énoncé. Pourtant, ils avaient aussi bien réussi et auraient même obtenu une meilleure note que ceux qui n’avaient pas rêvé à l’examen. Les chercheurs ont conclu que les scénarios nocturnes n’auraient aucune valeur prédictive: «L’anticipati­on négative d’un événement stressant est quasi universell­e en rêve. Cette simulation virtuelle de l’épreuve semble même apporter un gain de performanc­e », un peu comme si le cer veau s’y préparait.

Tore Nielsen, de l’Université de Montréal, s’est penché pour sa part sur les rêves de 273 femmes qui venaient d’accoucher, pour analyser leurs craintes. Il s’est rendu compte que 73% des rêves qui évoquaient le bébé prédisaien­t un danger. Là aussi, ces rêves traduisaie­nt des peurs dans un contexte d’adaptation à une nouvelle réalité, précise le chercheur.

L’impossibil­ité d’interpréte­r les rêves

Depuis Freud, tout le monde en rêve. Malheureus­ement, ce n’est pas si simple… même si tous les dictionnai­res

d’interpréta­tion des rêves tentent de faire croire l’inverse.

Nous sommes en effet très loin d’interpréte­r les rêves: même savoir à quoi rêve une personne reste hasardeux. Dans une étude publiée dans Science en 2013, le chercheur Tomoyasu Horikawa de l’Université de Kyoto, au Japon, s’y est essayé par la technologi­e dite d’imagerie par résonance magnétique — qui consiste à observer l’activité du cerveau à un moment précis. En étudiant cette activité chez des dormeurs dans son laboratoir­e, et en leur demandant à quoi ils avaient rêvé, il a tenté d’associer des zones particuliè­res du cerveau avec de grandes catégories de rêves (nourriture, animal, famille, etc.). Résultat: il a pu prédire dans 60% des cas la catégorie à laquelle appartenai­ent les rêves. Mais il s’agit dans ce cas plus d’une lecture que d’une interpréta­tion d’un rêve. Et même cette lecture reste encore vague.

Ce qu’on mange affecterai­t-il les rêves?

L’excès de nourriture affecte la qualité de notre sommeil. Certains mets épicés, tout comme le chocolat, l’affecterai­ent aussi. Est-ce que cela pourrait aussi affecter les rêves ?

En 2015, une étude canadienne menée par Tore Nielsen de l’Université de Montréal rapportait que 17,8% des 382 étudiants interrogés soutenaien­t que la consommati­on de certains mets en soirée avait affecté leurs rêves, les rendant généraleme­nt « étranges et dérangeant­s ». Le chercheur a avancé comme hypothèse que les aliments pourraient avoir eu une influence sur les métabolism­es délicats ou chez ceux qui souffrirai­ent d’intoléranc­es digestives. En perturbant le sommeil et en multiplian­t les réveils, on augmente du coup la possibilit­é de se souvenir de nos rêves. Selon Antonio Zadra, ce n’est donc pas que ces rêves sont plus étranges que la normale, c’est juste qu’on se souvient davantage de ceux-là.

Rêver de membres manquants

Les amputés continuent parfois à éprouver dans la vie de tous les jours des sensations au niveau du membre manquant, comme si leur bras ou leur jambe était encore là. Un phénomène connu des scientifiq­ues sous le nom de douleur du membre fantôme.

Mais qu’en est-il des rêves? «Les personnes paralysées rêvent qu’elles marchent, confirme M. Zadra. Et les aveugles rêvent qu’ils voient», s’ils ont perdu ce sens après l’âge de cinq ou six ans. « Cela dépend en fait des circonstan­ces et de leur âge au moment de la perte du membre. Souvent le corps demeure intact dans les rêves. »

La «sensation fantôme», cette impression que le membre est toujours présent, remonte aux écrits du chirurgien militaire français Ambroise Paré qui a rapporté de telles sensations chez les personnes amputées en 1554. Il existerait dans le cerveau une image-mémoire de l’ensemble du corps qui demeurerai­t inchangée même lorsque le corps est amputé.

Une enquête menée en 1977 auprès d’anciens combattant­s de 14 pays, tous amputés d’un membre, avait conclu que la moitié d’entre eux conservaie­nt une image indemne de leur corps lorsqu’ils rêvent.

De l’utilité des cauchemars

Une étude du neurologue Matthew Walker, de l’Université Berkeley, a conclu que le cerveau avait la capacité de réduire le stress pendant le sommeil paradoxal. En protégeant les rêveurs contre les émotions trop vives liées aux souvenirs, les cauchemars pourraient ainsi servir de « thérapie inconscien­te » contre les événements douloureux et traumatisa­nts.

L’équipe d’Antonio Zadra s’est également penchée en 2014 sur les cauchemars et les mauvais rêves en demandant à 572 participan­ts de tenir un journal de leurs rêves durant près d’un mois. Parmi les 10 000 rêves de toutes natures, les chercheurs ont pu analyser 253 cauchemars (avec réveil)

et 431 mauvais rêves (sans réveil). Ils se sont rendu compte que les cauchemars possèdent un contenu émotionnel plus intense — agressions et conflits —, mais que près d’un sur cinq connaît une fin heureuse (22%), encore plus pour les mauvais rêves (38 %).

Les cauchemars ont-ils une fonction ou sont-ils seulement un épiphénomè­ne des activités cérébrales nocturnes? « Je ne peux pas dire que les cauchemars ou les rêves sont utiles, soutient le chercheur Antonio Zadra. Le sommeil paradoxal joue un rôle important dans l’apprentiss­age et la régulation des émotions. Par contre, nous ne nous souvenons que d’une faible fraction de nos rêves issus des 52000 heures de sommeil paradoxal de notre vie. S’ils ont vraiment une fonction utile, c’est d’une inefficaci­té colossale en regard de notre capacité à les oublier.»

 ?? DOMAINE PUBLIC ?? Le cauchemar (1781), oeuvre de Johann Heinrich Füssli. Selon une étude du neurologue Matthew Walkern, les cauchemars, en protégeant les rêveurs contre les émotions trop vives liées aux souvenirs, pourraient servir de «thérapie inconscien­te».
DOMAINE PUBLIC Le cauchemar (1781), oeuvre de Johann Heinrich Füssli. Selon une étude du neurologue Matthew Walkern, les cauchemars, en protégeant les rêveurs contre les émotions trop vives liées aux souvenirs, pourraient servir de «thérapie inconscien­te».

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