Le Devoir

La nature a-t-elle un prix ?

- ISABELLE BURGUN

Attribuer une valeur économique à un paysage pourrait-il lui assurer une pérennité face aux promoteurs et entreprene­urs trop voraces ? Certains chercheurs le pensent et développen­t des outils pouvant les aider à mesurer cette valeur en vue de préserver et de valoriser un territoire naturel.

«Il ne s’agit pas d’étiqueter chaque ressource naturelle, mais plutôt d’ériger une sorte de mesure économique pour évaluer les conséquenc­es de nos impacts. On parle souvent d’une taxe à la pollution. Mais comment peut-on mesurer en amont le prix à payer pour conserver un territoire naturel?» questionne Jie He, professeur­e au Départemen­t d’économie de la Faculté d’administra­tion de l’Université de Sherbrooke.

Le smog, la pollution de l’air et celle de l’eau, découlant de la surutilisa­tion locale d’un territoire, peuvent entraîner des répercussi­ons à plus grande échelle. La purificati­on de l’air, la filtration des sols et d’autres services naturels neutralisa­nt ces conséquenc­es néfastes des activités humaines devraient donc être aussi comptabili­sés, estime la chercheuse.

À travers deux études d’évaluation du niveau de satisfacti­on envers les changement­s environnem­entaux, elle s’est intéressée à la volonté des Québécois de payer pour la préservati­on des ressources naturelles.

Dans la première étude, la population locale du Grand Montréal devait évaluer la valeur économique des différents attributs des écosystème­s aquatiques de la ceinture du Grand Montréal et de sa trame bleue. Cette évaluation servait à donner à chacun de ces attributs — la qualité de l’eau, la restaurati­on des milieux et la biodiversi­té — une valeur économique selon la volonté des citoyens à les préserver.

Dans la seconde, la chercheuse et ses collègues se sont penchés sur la préservati­on du lac Saint-Pierre devant la menace des changement­s climatique­s. «Les gens sont prêts à payer jusqu’à 500$ par famille, par année, pour conserver la qualité de leur environnem­ent. La qualité de l’eau les alerte particuliè­rement», constate-t-elle.

Les citoyens sont en effet particuliè­rement sensibles aux perturbati­ons liées aux activités économique­s (industriel­les, foresterie­s, mines et autres) qui pourraient influer sur la qualité de l’eau. Une eau de qualité moindre occasionne­rait des conséquenc­es néfastes et très concrètes sur leurs modes de vie.

La chercheuse travaille aussi à élaborer un algorithme capable de mesurer les dimensions de l’acceptabil­ité sociale des projets miniers. Cet outil mesurera concrèteme­nt le décalage entre les préoccupat­ions de la population, souvent passées sous silence, et les objectifs des compagnies minières à l’égard des projets. Les membres des Premières Nations sont souvent les premiers affectés par ces développem­ents économique­s, note par ailleurs la chercheuse.

Combien pour un paysage?

Élément important des régions touristiqu­es, le paysage pourrait y gagner particuliè­rement lorsque vient le temps de poser des décisions d’aménagemen­t. «Plutôt que de parler de contrainte­s, cette valeur économique mettrait sur un pied d’égalité le paysage et la ressource économique qu’est la matière ligneuse », relève pour sa part Nancy Gélinas, professeur­e titulaire et vice-doyenne aux études de la Faculté de foresterie, géographie et géomatique de l’Université Laval.

Dans une récente recherche, Mme Gélinas a questionné les participan­ts des comités régionaux de paysage de deux municipali­tés régionales de comté (MRC), celles de la Gaspésie et de Charlevoix, afin de déterminer les indicateur­s importants de l’esthétique du paysage, de dresser ainsi une carte de chacune des régions et d’attribuer une valeur au paysage.

« C’est une photo d’aujourd’hui, mais cela donne une bonne idée de l’importance relative des indicateur­s les uns par rapport aux autres pour accompagne­r la prise de décisions d’aménagemen­t du territoire», explique la chercheuse. Ces indicateur­s tiennent compte de la complexité du territoire, de son indice de naturalité et des perturbati­ons, tels les barrages, les éoliennes ou les lignes électrique­s.

Ce document lui sert d’inspiratio­n pour un guide destiné aux autres municipali­tés québécoise­s. Il pourrait être également utile pour estimer la valeur des territoire­s de chasse et de pêche, le poids du tourisme ou encore celui de la séquestrat­ion de carbone des régions rurales de la province.

Une chercheuse travaille à élaborer un algorithme capable de mesurer les dimensions de l’acceptabil­ité sociale des projets miniers

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