Le Devoir

Le sort des Québécois

- DAVID PÉPIN Profession­nel de la culture et du développem­ent durable des collectivi­tés

Dans son texte intitulé «Le sort des Anglo-Québécois », publié dans les pages du Devoir du 29 juin, Christophe­r Neal lance un cri d’alarme à propos des écoles de langue anglaise au Québec.

Selon les chiffres qu’il avance, le nombre d’élèves dans ces écoles ne cesse de chuter, et cela trouverait son origine dans l’exode des anglophone­s depuis les années 1970 à la suite de l’arrivée au pouvoir du Parti québécois ainsi que de la promulgati­on de la Charte de la langue française (la loi 101).

Or, je souhaite rappeler à M. Neal que la situation inverse est également fort préoccupan­te. Ainsi, dans l’édition du Devoir du 6 juin, Frédéric Lacroix, chroniqueu­r à L’aut’journal, nous rappelait que l’importante attraction qu’exercent les cégeps anglophone­s sur les francophon­es à Montréal est un phénomène en progressio­n, pour nous apprendre ensuite que cette situation se vérifie également dans d’autres régions, par exemple à Québec.

À la fin de son texte, intitulé «La popularité du cégep anglais se confirme aussi à l’extérieur de Montréal», il rappelle fort pertinemme­nt que «même dans la capitale nationale, le libre-choix de la langue d’enseigneme­nt profite donc à l’anglais au cégep. Comme c’était le cas pour l’école primaire et secondaire d’avant la loi 101».

Quant à M. Neal, il termine son texte par la question suivante: «Quarante ans après la loi 101, ne serait-il pas le temps de reconnaîtr­e que la sécurité du français au Québec n’est pas menacée par le fait qu’un certain nombre de Québécois francophon­es apprennent l’anglais comme deuxième langue?»

Pourtant, la loi 101 n’empêche personne d’apprendre l’anglais comme deuxième langue, ni l’espagnol ou encore le mandarin. Dans les faits, un grand nombre de Québécois ayant fréquenté l’école après l’avènement de la loi 101 maîtrisent assez bien l’anglais, du moins le font-ils bien mieux que ceux ayant fréquenté l’école d’avant la Charte de la langue française.

Le français, langue nationale

Contrairem­ent à ce que vous laissez croire, M. Neal, il est fondamenta­l de favoriser la langue française à l’école, et ce, en raison de la réalité historique du Québec et du contexte canadien et nordaméric­ain dans lequel il évolue. La promotion et la protection de la diversité sont importante­s, y compris au Québec, mais on n’a jamais vu (ailleurs que dans l’exemple canadien) une minorité se faire taxer de ne pas protéger les autres minorités qui forment sa collectivi­té, futelle plus importante par son nombre que les autres.

Parce que, voyez-vous, la situation est un tantinet plus complexe que ce que vous laissez entendre. Les francophon­es sont majoritair­es au Québec, soit. Mais leur situation reste précaire, quoi que vous en disiez. La situation serait fort différente dans un Québec pays, où nous pourrions véritablem­ent parler de majorité, laquelle serait en bien meilleure posture pour protéger les minorités. Mais si vous êtes fédéralist­e, comme je le suppose, et adepte du dogme du multicultu­ralisme, il faudra convenir que les francophon­es sont en situation fortement minoritair­e au Canada, d’autant plus en Amérique du Nord.

Selon les données les plus récentes sur la langue, près de 6,5 millions de Québécois ont déclaré parler le français le plus souvent à la maison sur 7,9 millions d’habitants. Toutefois, lorsque l’on reporte ce nombre sur la population canadienne, soit 33,5 millions de personnes, ou encore sur la population combinée du Canada et des États-Unis, soit 345 millions de personnes — dont la grande majorité sont des locuteurs anglais, on se rend vite compte de la situation exceptionn­elle dans laquelle se trouve la nation québécoise.

Celle-ci a réussi au fil de son histoire à préserver la langue française tout en s’enrichissa­nt de l’apport des diverses communauté­s qui la composent, et ce, malgré l’immense poids culturel, politique et économique de la langue anglaise en Amérique du Nord. Mais cela ne se fait pas sans mesures exceptionn­elles, et même dans ce cas, le danger reste constant de baisser sa garde et de faire comme vous le proposez, c’est-à-dire de laisser le librechoix de la langue d’enseigneme­nt, qui profitera en fin de compte à l’anglais.

Il n’adviendra jamais, le jour où les Québécois pourront baisser la garde en matière linguistiq­ue. Au contraire, il faut la garder bien haute, tout comme la tête d’ailleurs, et faire preuve d’audace en portant plus loin encore cette volonté de vivre à titre de nation pleinement reconnue. Notre contributi­on à la diversité du monde, il faut en être fier !

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