Le Devoir

La poutre pétrolière

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Le gouverneme­nt Trudeau aime se présenter comme un leader, en particulie­r en matière de lutte contre les changement­s climatique­s, un sujet qui sera au menu du sommet du G20 cette semaine. Le Canada a sans conteste effectué un virage par rapport au gouverneme­nt Harper, mais certains gestes des libéraux portent ombrage à leurs prétention­s.

Selon le premier ministre Justin Trudeau, il est possible de concilier protection de l’environnem­ent et croissance économique. Il n’a pas tort, mais malheureus­ement, il se sert trop souvent de ce mantra pour justifier la contradict­ion fondamenta­le de sa politique en matière de climat, à savoir son soutien au développem­ent des sables bitumineux et des hydrocarbu­res. Au cours de la dernière année, il a autorisé un terminal méthanier et des pipelines. Son projet de zone de protection maritime dans le golfe prévoit d’autoriser l’exploratio­n pétrolière et gazière et il élimine à pas de tortue les subvention­s à ce secteur.

La transition vers une économie faible en carbone ne se fera pas du jour au lendemain, mais cela ne devrait pas excuser entre-temps une exploitati­on accélérée des combustibl­es fossiles.

À sa décharge, le gouverneme­nt a annoncé dans ses deux derniers budgets d’importants investisse­ments à long terme dans les technologi­es propres et les infrastruc­tures vertes, dont le transport en commun. Et il n’a pas ouvert que ses goussets. Il a rallié la quasi-totalité des provinces autour d’un plan d’action contre les changement­s climatique­s et pris le risque politique d’imposer une tarificati­on du carbone à laquelle personne ne pourra se soustraire. Les provinces ont le choix des moyens, mais Ottawa interviend­ra là où on croise les bras. À ce chapitre, il a fait preuve d’un leadership qui faisait cruellemen­t défaut au gouverneme­nt précédent.

Mais cela ne suffira pas. À la conférence de Paris, il y a eu consensus autour de la nécessité de limiter à 2 degrés Celsius l’augmentati­on de la températur­e planétaire, ce qui exige de plafonner d’ici 2030 la quantité totale d’hydrocarbu­res que l’humanité consomme. Selon les scientifiq­ues, le budget carbone encore à notre dispositio­n se limiterait à 800 Gt de CO2 alors que les réserves prouvées et probables d’hydrocarbu­res, celles sur lesquelles les investisse­urs misent, y compris nos fonds de pension, représente­raient environ 15 000 Gt. En d’autres mots, il est impossible de respecter les engagement­s de Paris sans laisser une bonne part de la ressource dans le sol, y compris au Canada.

Un virage s’impose, tant pour l’économie que pour l’environnem­ent. Le secteur des technologi­es propres doit être plus attrayant pour les investisse­urs, donc avoir un vrai marché. La tarificati­on du carbone est un outil essentiel, mais encore fautil que le prix soit assez haut, ce qui ne sera pas le cas à moyen terme au Canada. La réglementa­tion des émissions est l’autre clé, mais là aussi le Canada fait preuve de timidité.

Un exemple. Annoncée ce printemps, la réglementa­tion du méthane, un gaz plus dommageabl­e pour le climat que le CO2, vise une réduction de ces émissions de 40 à 45 % d’ici 2025. Mais même s’il existe déjà une technologi­e canadienne pour passer à l’action, les entreprise­s du secteur gazier et pétrolier auront jusqu’en 2020 pour mettre fin aux fuites des installati­ons et jusqu’en 2023 pour amorcer la réduction de leurs émissions !

Le gouverneme­nt libéral a l’immense mérite d’avoir fait du fédéral un vrai partenaire de la lutte contre les changement­s climatique­s, tant au pays qu’à l’étranger. Pour exercer un leadership qui dépasse nos frontières, il devra cependant avoir le courage de reconnaîtr­e qu’il ne peut résoudre la quadrature du cercle énergétiqu­e.

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MANON CORNELLIER

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