Le Devoir

La rue nargue le roi

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Tout n’est pas si paisible au royaume chérifien. Huit mois que bouillonne de colère la région berbère du Rif, au nord-est du pays, réveillée nuit après nuit par un ample mouvement de contestati­on populaire contre la corruption, la pauvreté, l’autoritari­sme du régime. À ce soulèvemen­t demeuré largement pacifique, le pouvoir tenu par le roi Mohammed VI et sa coterie clientélis­te a fini par répondre par la répression — après avoir pensé qu’il allait s’essouffler. Une centaine de militants du «Hirak» («mouvance» en arabe) ont été jetés en prison depuis un mois, à commencer par son charismati­que leader, un activiste chômeur du nom de Nasser Zefzafi. Avec le résultat que les manifestat­ions tournaient la semaine dernière à l’intifada, le dialogue réduit à des échanges de gaz lacrymogèn­es et de jets de pierre entre les forces policières et une jeunesse enfermée dans le chômage et le sous-emploi.

Tout a commencé dans la ville côtière d’Al Hoceïma avec la mort, le 28 octobre 2016, de Mouhcine Fikri, un poissonnie­r d’une trentaine d’années, broyé dans un camion à ordures en tentant de récupérer 500 kilos d’espadon que la police venait de lui saisir pour cause de pêche illégale. L’image a frappé les conscience­s : celle d’un jeune Marocain qui, se démenant pour gagner sa vie, est jeté aux poubelles par les autorités… Une affaire qui n’est pas sans renvoyer aux racines du printemps arabe tunisien, lorsque Mohamed Bouazizi, un jeune vendeur ambulant de fruits et légumes de Sidi Bouzid dont la marchandis­e avait été confisquée par les autorités, s’est immolé par le feu le 17 décembre 2010.

Le Rif est la province la plus densément peuplée et la plus pauvre du Maroc. Les seuls revenus sont l’argent de l’émigration et de la culture du cannabis. La faute en incombe largement à l’ancien roi Hassan II qui, suivant la révolte du Rif en 1958-1959, a passé les décennies suivantes à traiter cette région avec une suprême indifféren­ce, sauf pour le fait de l’avoir militarisé­e à outrance. Et si, par la suite, son fils Mohammed VI a tenté de rompre cet isolement, ses promesses de développem­ent sont restées lettre morte.

La contestati­on comporte bien une dimension religieuse, puisque le roi est aussi la plus haute autorité religieuse du pays, mais elle est avant tout de nature sociale — avec, à la clé, l’appel à une réelle libéralisa­tion politique. Ainsi en est-il des revendicat­ions mises en avant par les manifestan­ts du Hirak: constructi­on d’écoles et d’hôpitaux, désenclave­ment de la région, stratégie de développem­ent économique et de création d’emplois…

Si le régime n’écoute pas, c’est que son népotisme le rend sourd. Les revendicat­ions du Rif résonnent pourtant ailleurs dans le pays. Les printemps arabes ont délié les langues.

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GUY TAILLEFER

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