Le Devoir

Des mythes à déconstrui­re

- ANDRÉ LAMOUREUX Politologu­e, chargé de cours à l’UQAM

En préparatio­n de la célébratio­n du 150e anniversai­re du Canada, on a répété deux idées reçues: la première soutenant qu’une « Confédérat­ion canadienne » serait née en 1867; la deuxième avançant que la fondation du Canada serait la résultante d’un « pacte entre deux peuples ». En lançant sa récente propositio­n de « dialogue constituti­onnel », Philippe Couillard a lui-même relancé cette idée des « peuples fondateurs ».

Ce discours sur le « pacte confédérat­if » n’est pas nouveau et s’inspire d’une certaine rectitude politique prévalant au Québec depuis les années 1960. À l’occasion du 150e anniversai­re, il est permis de remettre les pendules à l’heure.

Une fédération hautement centralisé­e

Contrairem­ent aux idées reçues, il faut se rappeler qu’à l’aube des pourparler­s constituti­onnels de 1864 à 1867, John Macdonald avait comme objectif de créer une union législativ­e, un régime unitaire, et non pas une confédérat­ion décentrali­sée, comme le suggéraien­t les dirigeants des colonies maritimes.

Malgré tout, les susceptibi­lités de ces derniers ainsi que l’insistance de George-Étienne Cartier du Bas-Canada obligèrent Macdonald à retraiter et envisager plutôt un régime fédératif constitué de deux ordres de gouverneme­nt. En revanche, il le fit en préservant sa conception centralisa­trice de l’État. Les compétence­s « d’intérêt général» furent placées sous l’autorité de l’État central, tandis que celles « d’intérêt local » étaient concédées aux provinces.

En effet, les Résolution­s de Québec de 1864 et la version définitive de l’Acte de l’Amérique du Nord britanniqu­e (AANB) de 1867 reproduisi­rent cette conception d’un État fédéral fort, non sans provoquer des protestati­ons, notamment au Bas-Canada et en Nouvelle-Écosse.

Le partage des compétence­s entre les deux ordres de gouverneme­nt respectait l’ordre centralisé souhaité. C’était le cas en matière de justice, à propos des établissem­ents de détention et relativeme­nt au mariage et au divorce. L’État central s’attribuait aussi la compétence exclusive dans des domaines stratégiqu­es, comme les banques, la monnaie, l’armée, la navigation, le transport maritime, les affaires autochtone­s, les pêches, le commerce internatio­nal, la politique étrangère.

En retour, les provinces conservaie­nt un droit acquis d’importance, soit l’autorité en matière de propriété et de droits civils, ce qui leur était de facto attribué depuis l’Acte de Québec. Pour leurs autres compétence­s, il s’agissait de matières dites locales, dont la taxation directe, les institutio­ns municipale­s, l’administra­tion des hôpitaux et des services sociaux, ainsi que l’éducation, sous réserve de la protection des privilèges confession­nels établis après 1842.

Reconnaiss­ons qu’à cette époque, les secteurs de la santé et de l’éducation étaient d’intérêt local. Ils n’étaient pas directemen­t pris en charge par l’État. Les communauté­s religieuse­s en prenaient la responsabi­lité en échange de subsides publics.

Bref, en 1867, une fédération était née. Par la suite, l’État central a pu élargir considérab­lement son panier de compétence­s grâce au pouvoir d’urgence nationale, au pouvoir déclaratoi­re, aux compétence­s résiduaire­s et au pouvoir de dépenser. L’idée d’une confédérat­ion n’était plus qu’un écran de fumée.

Les peuples laissés pour compte

Concernant le rôle des peuples du territoire dans le processus de fondation du Canada, de sérieux manquement­s discrédite­nt la thèse du «pacte confédérat­if». Les conférence­s constituti­onnelles de 1864 à Charlottet­own et à Québec furent tenues à huis clos. Les journalist­es euxmêmes n’y avaient pas accès.

La population dans son ensemble, en vertu des consignes de Cartier et Macdonald, était délibéréme­nt tenue dans le secret. Elle n’était aucunement informée des pourparler­s ni de la teneur du projet. La diffusion des résolution­s de Québec ne fut rendue possible que par l’action du Parti rouge, ce parti d’opposition bascanadie­n qui voulait une république, une confédérat­ion, ainsi que la séparation de l’Église et de l’État.

Il fit circuler au Bas-Canada une pétition contre le projet conservate­ur et monarchist­e proposé. Une vingtaine d’assemblées publiques furent tenues, appelant toutes à ce que le peuple se prononce souveraine­ment.

Le 10 mars 1865, l’allégeance de l’Assemblée du Canada-Uni au projet de fondation du Canada se fit en vertu d’un texte fort évasif et sans examen détaillé de l’AANB. Le vote des Canadiens français fut d’ailleurs extrêmemen­t divisé. Le 13 mars, devant la persistanc­e de vives opposition­s à l’Assemblée, un député compatissa­nt du Haut-Canada proposa la tenue d’une consultati­on formelle auprès de la population avant de procéder à Londres. La motion fut fustigée par les Pères de la Confédérat­ion et battue à forte majorité, confirmant l’absence de tout libre consenteme­nt convenu entre les peuples du territoire dans l’édificatio­n du Dominion du Canada.

Ce qui a été négocié en 1867, c’est donc un pacte aristocrat­ique et monarchiqu­e piloté par l’élite politique et économique de la colonie, de concert avec l’Empire. En l’occurrence, le peuple du Québec, le peuple acadien, ainsi que les peuples autochtone­s n’ont obtenu qu’un rôle de figurants, sans une réelle prise sur le débat. Pas de traces de peuples «fondateurs». Après sa création, la première guerre du Canada fut d’ailleurs dirigée contre un des peuples du territoire, le peuple métis, ces « half-breeds » dont Macdonald n’avait cure.

 ?? BIBLIOTHÈQ­UE ET ARCHIVES CANADA ?? Assemblée internatio­nale à Québec des délégués des législatur­es du Canada : Nouvelle-Écosse, Nouveau-Brunswick, Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve en 1864
BIBLIOTHÈQ­UE ET ARCHIVES CANADA Assemblée internatio­nale à Québec des délégués des législatur­es du Canada : Nouvelle-Écosse, Nouveau-Brunswick, Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve en 1864

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