Le Devoir

Changeons l’accès à l’informatio­n pour mieux protéger le patrimoine

- CHRISTOPHE-HUBERT JONCAS Consultant en aménagemen­t et patrimoine ÉMILIE VÉZINA-DORÉ Directrice générale d’Action patrimoine ALEXANDRE PETITPAS Agent, Avis et prises de position, chez Action patrimoine Des commentair­es ou des suggestion­s pour Des Idées

Ces derniers mois, Action patrimoine a recensé plusieurs dossiers patrimonia­ux où l’accès à l’informatio­n posait problème. Une situation typique se répète: des groupes de citoyens inquiets du sort d’un bâtiment veulent établir sa valeur et en assurer la sauvegarde grâce à un argumentai­re crédible, basé sur des faits.

Le réflexe de ces groupes de citoyens est de chercher les études patrimonia­les ou techniques associées à ces bâtiments. Voilà pourquoi l’accès à ces documents s’avère essentiel à la sauvegarde et à la mise en valeur du patrimoine bâti.

Internet est sans aucun doute la première porte d’accès à l’informatio­n. Parmi les plateforme­s existantes, le Répertoire du patrimoine culturel du Québec s’avère incontourn­able. Il regroupe des données tirées de nombreux inventaire­s du patrimoine bâti. De plus, certains sites Web de municipali­tés ou de MRC permettent d’accéder simplement à des documents de qualité.

Une autre option consiste à demander des documents aux instances susceptibl­es d’avoir de l’informatio­n, comme la municipali­té ou le ministère de la Culture et des Communicat­ions. Or, ces instances se réfèrent souvent à la Loi sur l’accès à l’informatio­n pour exiger qu’une demande formelle leur soit déposée.

Malgré son titre et l’intention qui a mené à son adoption, la Loi sur l’accès à l’informatio­n peut représente­r un obstacle à l’obtention de renseignem­ents par le public. En effet, les procédures et les délais qu’elle impose peuvent être dissuasifs, d’autant plus que les demandes se font souvent lorsqu’un site ou un bâtiment est menacé et qu’il y a urgence d’agir. De plus, une demande est susceptibl­e d’être rejetée en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignem­ents personnels, qui confère un pouvoir discrétion­naire aux municipali­tés.

Ainsi, selon les articles 37, 38 et 39 de cette loi, un organisme public peut refuser de communique­r une analyse, un avis ou une recommanda­tion lorsque ces derniers ont été faits depuis moins de dix ans, quand aucune décision n’a encore été rendue publique ou lorsqu’un processus décisionne­l est en cours.

Quelques exemples parmi d’autres

La maison Tourigny de Magog, dont la récente démolition a été contestée par un groupe de citoyens, est un cas où l’accès aux documents aurait pu jouer un rôle important dans le débat public. Le collectif Sauvons l’îlot Tourigny s’est formé quand un promoteur a acheté le site qui incluait la maison patrimonia­le pour y construire des bureaux.

En 2009, la Ville de Magog a confié à une firme spécialisé­e la réalisatio­n d’une étude sur les coûts de restaurati­on de la maison. Selon un mémoire rédigé par le collectif, l’étude aurait été menée à condition que les résultats demeurent confidenti­els. Ainsi, la Ville aurait refusé de la rendre publique malgré les demandes d’accès à l’informatio­n. Le collectif a finalement eu accès à un document technique dont les seules informatio­ns jugées utiles par les demandeurs avaient été caviardées.

Ce cas n’est pas unique. La Ville de SainteThér­èse était en possession d’études concernant des bâtiments (aujourd’hui démolis) situés sur un îlot visé par un projet commercial et résidentie­l. Sans donner accès à ces études, elle affirmait que les coûts de remise en état des deux bâtiments ancestraux étaient trop élevés.

Dans ces deux cas, les villes avaient le droit, en vertu de l’article 37, de refuser de publier l’étude patrimonia­le. Leur décision semble toutefois opposée à l’esprit de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignem­ents personnels, qui est de rendre les processus administra­tifs municipaux et gouverneme­ntaux plus transparen­ts.

Si les municipali­tés transmetta­ient davantage l’informatio­n en amont, cela favorisera­it l’interactio­n avec les citoyens, nourrirait leurs réflexions sur leur patrimoine et assurerait qu’un accès à l’informatio­n soit possible en temps utile.

La révélation d’études est essentiell­e à un débat public sain. Une approche transparen­te permet à une collectivi­té de prendre des décisions plus éclairées quant à l’aménagemen­t de son territoire. C’est pourquoi des documents comme des études patrimonia­les et des évaluation­s de coûts associés aux interventi­ons nécessaire­s devraient être facilement accessible­s. En ce sens, la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignem­ents personnels devrait être mise à jour afin de garantir aux citoyens un accès juste à toute informatio­n pertinente touchant le patrimoine et l’urbanisme.

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