Le Devoir

L’insécurité demeure, quatre ans après la tragédie

Quatre ans après la tragédie de Lac-Mégantic, les citoyens vivent toujours dans l’insécurité

- AMÉLI PINEDA

Quatre ans après la tragédie de Lac-Mégantic qui a fauché la vie de 47 personnes, la voie de contournem­ent ferroviair­e du centrevill­e se fait attendre. Les trains qui transporte­nt des produits dangereux continuent à passer «comme si ça n’était jamais arrivé», déplorent des résidents qui estiment que, tant que cette voie ne sera pas construite, leur guérison ne sera pas complète.

Le bruit des locomotive­s n’avait jamais réveillé Robert Bellefleur avant le 6 juillet 2013. Depuis, le résident ne compte plus les nuits où le son strident des wagons sur les rails vient perturber son sommeil.

«C’est un des plus grands stress de voir et d’entendre le train passer pratiqueme­nt au même endroit qu’avant le drame», explique M. Bellefleur. L’homme s’explique mal qu’encore aujourd’hui, des trains continuent à passer par le centre-ville sans éveiller un plus grand sentiment d’urgence pour trouver une solution.

«Après le drame, on nous a promis une sécurité ferroviair­e. Le ministre des Transports du Canada, Marc Garneau, nous a dit qu’il en faisait sa priorité lorsqu’il a été élu en 2015. Malheureus­ement, je n’ai pas le sentiment d’être en sécurité, au contraire, je crois qu’on vit encore à côté de la courbe de la mort», confie M. Bellefleur.

Le Méganticoi­s faisait partie des habitués du Musi-Café, le resto-pub situé près de la voie ferrée qui s’est retrouvé au coeur de la tragédie. La soirée de la catastroph­e, il devait d’ailleurs s’y trouver, mais le «hasard» a voulu qu’il accepte finalement une invitation dans un restaurant de Sherbrooke.

Après la tragédie, M. Bellefleur s’est engagé dans une bataille pour assurer la sécurité des Méganticoi­s. Il est devenu le porte-parole de la Coalition des citoyens et organismes engagés pour la sécurité ferroviair­e. Dans le meilleur scénario, le voeu du regroupeme­nt d’avoir une voie de contournem­ent ne serait exaucé qu’en 2021.

«Si on ne sort pas le train de Lac-Mégantic, je vais quitter la ville. Si on ne part pas d’ici, c’est notre vie qui est en jeu chaque nuit», confie l’homme qui assure vouloir aller jusqu’au bout de sa démarche.

Son sentiment d’insécurité s’est accru le 29 mai dernier lors d’une consultati­on sur le réaménagem­ent de la voie ferrée traversant le centre-ville de Lac-Mégantic menée par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnem­ent (BAPE).

Durant la soirée, Jean Hardy, un chargé de projet, a expliqué que la courbe du centre-ville, où le train a déraillé la nuit du 6 juillet 2013, est un peu plus prononcée depuis qu’elle a été reconstrui­te.

«Il y a une courbe de huit degrés présenteme­nt au centre-ville. Lors de la catastroph­e, c’était une courbe de quatre degrés […], donc c’était une courbe qui pardonnait un petit peu plus que celle qui a été mise en place lors des travaux de réouvertur­e de la voie ferrée», a-t-il indiqué.

Jeudi, la Coalition tiendra une conférence de presse pour interpelle­r le gouverneme­nt fédéral et demander une interventi­on pour prévenir une autre catastroph­e.

«On a connu une des plus grosses tragédies et on a eu l’odieux de reconstrui­re une courbe aussi dangereuse que l’ancienne, je trouve que c’est choquant », dit M. Bellefleur.

Au cabinet du ministre Garneau, on assure être «fermement engagé à améliorer la sécurité ferroviair­e », mais on répète qu’au sujet de la voie de contournem­ent, « l’étude de faisabilit­é suit son cours ».

Le maire de Lac-Mégantic, Jean-Guy Cloutier, a été étonné d’apprendre que cette courbe a pu être construite sachant qu’elle est un peu plus dangereuse que l’ancienne.

«S’il y a eu un problème, je vais parler avec le ministre Garneau parce qu’on ne peut pas tolérer ça», soutient M. Cloutier.

Centre-ville fragile

La reconstruc­tion du centre-ville préoccupe encore grandement les résidents. Les bâtiments qui avaient résisté à l’explosion y ont été rasés dans les dernières années, laissant le site pratiqueme­nt désert.

«Ç’a été un dur coup. Il y a des bâtiments qui n’étaient pas contaminés et qui ont été démolis. C’est certain qu’on en veut à la Ville, elle a détruit le coeur du centre-ville et laissé sans repères des citoyens qui venaient de vivre un drame», dénonce Jonathan Santerre, instigateu­r du mouvement Le Carré Bleu, qui demandait plus de transparen­ce aux autorités sur les décisions prises.

MM. Santerre et Bellefleur estiment également que plusieurs résidents peinent à s’identifier à l’image du nouveau centre-ville.

«On a voulu nous vendre un rêve, mais ce n’est pas ce dont on avait besoin. On veut nous reconstrui­re à l’image du Dix30 de Brossard, alors que nous étions une petite ville avec des commerces de proximité », lance M. Bellefleur.

Le maire Cloutier, qui a succédé à Colette Roy-Laroche qui a quitté la politique municipale en 2015, est conscient que des résidents peuvent avoir été déçus.

«Il y a des choses qui ont été faites par l’administra­tion précédente et je ne vais pas commenter leur décision, mais moi, lorsque je suis arrivé comme maire, je savais qu’il y avait des gens insatisfai­ts, alors j’ai proposé de les écouter et je crois qu’on l’a fait et qu’aujourd’hui, ce qu’on tente de faire avec notre centre-ville plaît à la plupart de nos résidents», dit-il.

La directrice générale de la Ville, Marie-Claude Arguin, en poste depuis 2016, espère que les nouvelles constructi­ons qui seront entreprise­s cet été permettron­t aux Méganticoi­s de voir que les choses évoluent.

Actuelleme­nt, dit-elle, 12 projets qui couvrent 70% de la superficie du site de la tragédie sont en cours de réalisatio­n ou projetés.

«La vie reprend. On ne peut pas dire que c’est facile, mais les choses vont mieux», insiste-t-elle.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR À Lac-Mégantic, les citoyens attendent toujours anxieuseme­nt qu’on construise une voie de contournem­ent ferroviair­e.

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