Le Devoir

Le difficile retour de la morue

Les bancs tardent à se reconstitu­er au large de Terre-Neuve

- ALEXANDRE SHIELDS

Plus de 25 ans après le moratoire décrété sur la pêche commercial­e à la morue, les stocks de ce poisson jadis très abondant tardent toujours à se reconstitu­er, malgré certains signaux positifs, dans un écosystème qui a subi d’importants bouleverse­ments en raison de l’activité humaine.

Dans le cadre d’une étude publiée mercredi dans Royal Society Open Science, des chercheurs se sont intéressés à l’évolution de la population de morues du nord-ouest de l’Atlantique, soit celle qui était jadis largement surpêchée au large de Terre-Neuve-et-Labrador.

Selon les données présentées dans le document, cette population aurait augmenté depuis le moratoire décrété en 1992 en raison de l’effondreme­nt complet des stocks. Mais la morue a globalemen­t regagné à peine «17% de la biomasse » qui a été «perdue» en raison des décennies de pêche commercial­e intensive.

Il est donc manifestem­ent trop tôt pour évoquer un «retour» de la morue, selon Andrew Gonzalez, coauteur de l’étude, spécialist­e de la biodiversi­té et professeur à l’Université McGill. Il estime ainsi que la croissance post-moratoire demeure «faible», tout en soulignant toutefois des «signaux encouragea­nts» depuis quelques années.

Avenir incertain

«Ce n’est pas suffisant pour rouvrir les pêches», insiste le professeur Gonzalez. Et il est pour ainsi dire impossible de savoir quand une telle activité pourrait être relancée durablemen­t, en raison des incertitud­es sur la courbe de croissance. «Il y a des signaux intéressan­ts, mais comme les conditions de l’écosystème ont changé, c’est très difficile d’extrapoler les données actuelles pour les années à venir», résume le chercheur, qui signe cette étude avec 12 autres scientifiq­ues.

Leurs travaux ont ainsi permis de préciser l’impact que la quasi-disparitio­n de la morue a eu sur l’ensemble de la communauté d’espèces de poissons, donc sur toute la chaîne alimentair­e sous-marine. Certaines espèces ont alors pris, dans une certaine mesure, la place occupée jadis par la morue, dont le flétan et le sébaste.

«L’écosystème se restructur­e, parce que les proies changent, mais aussi parce que la disparitio­n de la morue laisse l’occasion, pour d’autres espèces de poissons de fonds, de prendre davantage de place, explique Andrew Gonzalez. L’état de l’écosystème n’est plus ce qu’il était dans les années 1990, au moment où on a constaté l’effondreme­nt. C’est donc plus compliqué pour les morues.»

Autre bouleverse­ment majeur, le réchauffem­ent climatique semble avoir un impact sur l’habitat de la morue, qui fréquente les eaux très froides. La population de la région de Terre-Neuve-et-Labrador se concentre ainsi désormais davantage dans un secteur plus restreint de cette région maritime, alors que les scientifiq­ues ne constatent pas de véritable croissance dans d’autres secteurs, où l’eau s’est globalemen­t réchauffée depuis 25 ans.

Autant de signaux qui indiquent à M. Gonzalez qu’il faut être très «prudents» avant d’envisager un retour des pêches commercial­es. Un son de cloche qui vaut aussi pour les deux population­s de morues du golfe du Saint-Laurent. Celle du nord du golfe est pêchée, quoique nettement plus modestemen­t que par le passé. Mais la population du sud, elle, demeure encore au plus bas. Dans tous les cas, la morue est classée «en voie de disparitio­n» par le gouverneme­nt fédéral.

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