Le Devoir

Le magicien des sons, Pierre Henry, est décédé

- AURÉLIE MAYEMBO BENOÎT FAUCHET à Paris

Le compositeu­r français Pierre Henry, l’un des pères de la musique électroaco­ustique qui a inspiré le mouvement électro, notamment à travers sa mythique Messe pour le temps présent, est décédé à l’âge de 89 ans à Paris, a annoncé jeudi son entourage.

«Il est décédé cette nuit. Il allait fêter ses 90 ans» en décembre, a annoncé Isabelle Warnier, son assistante et sa compagne.

Parfois considéré comme le «grand-père de la techno», Pierre Henry «faisait partie des grands défricheur­s sonores du XXe siècle qui ont changé la manière de concevoir la musique », a réagi auprès de l’AFP le compositeu­r français Jean-Michel Jarre, figure de l’électro.

Le nom de Pierre Henry reste attaché à la «musique concrète» (bruits ou sons enregistré­s) fondée par Pierre Schaeffer (1910-1995), à laquelle se rattachent la plupart de ses oeuvres (plus d’une centaine), toutes numérisées et conservées par la Bibliothèq­ue nationale de France, une première pour un compositeu­r.

Né le 9 décembre 1927 à Paris, il entre à l’âge de neuf ans au Conservato­ire, où il étudie jusqu’en 1947 auprès de Nadia Boulanger (compositio­n) et d’Olivier Messiaen (harmonie), dont l’enseigneme­nt très libre l’aura beaucoup marqué.

Deux ans plus tard, il fait une rencontre décisive en la personne de Pierre Schaeffer. Ensemble, ils fondent en 1950, à la radiotélév­ision française, le Groupe de recherche de musique concrète (GRMC).

Il écrit avec lui la Symphonie pour un homme seul (1950), qui utilise la technique du «piano préparé»: divers objets sont insérés entre les cordes et la caisse de l’instrument.

Chef des travaux au GRMC, le jeune et ambitieux compositeu­r rompt avec son patron en 1958 pour fonder APSOME, premier studio privé consacré aux musiques expériment­ales.

Pendant près d’un quart de siècle, il autofinanc­era ses activités en écrivant à tour de bras des musiques de films, de scène et pour la publicité. Autant de travaux plus ou moins « alimentair­es » qui lui auront « permis d’avancer dans la technicité», confiera-t-il sans amertume.

Remixé

Rapidement, Pierre Henry noue des relations de travail soutenues avec d’autres artistes, des plasticien­s comme Jacques Villeglé ou des chorégraph­es à l’image de Maurice Béjart, avec lequel il créera une quinzaine d’oeuvres.

L’un des points culminants de cette collaborat­ion unique sera la Messe pour le temps présent (Festival d’Avignon en 1967), dont les «jerks électroniq­ues» (composés par Michel Colombier) deviendron­t un tube.

Signe de sa popularité, la Messe a été remixée pour les 70 ans du compositeu­r par quelques grands noms de la scène électro (Fatboy Slim, William Orbit, Dimitri from Paris…) et contribua à lui assurer une réputation, vivement contestée par l’intéressé, de «grand-père de la musique techno».

Pierre Henry a parfois jugé durement le «manque de maturation d’écriture» des DJ’s et leur musique «uniquement jouée par la main gauche », tout en se réjouissan­t que le son soit devenu, avec eux, «une fonction naturelle de l’être humain ».

Son univers était fait de bruits éclectique­s et souvent insolites (comme dans les grinçantes Variations pour une porte et un soupir), capables d’illustrer un propos volontiers métaphysiq­ue sur la nature (Histoire naturelle ou les roues de la terre) et le cosmos (Dieu).

Pierre Henry passait ses sons au filtre de l’électroniq­ue (magnétopho­nes, haut-parleurs) dans son studio aux allures de capharnaüm, créé en 1982 dans l’est de Paris, avec cette fois le soutien de l’État et de la Ville. Un atelier qu’il ouvrait régulièrem­ent au public pour des «concerts privés».

Sur scène, à 80 ans passés, Pierre Henry continuait à courber sa tête de hibou à l’oeil vif sur une imposante console de mixage, et à tendre l’oreille à l’aide de la main pour mieux juger de l’équilibre entre les sons.

La Messe pour le temps présent résonnera le 13 juillet sous la nef de la salle d’exposition parisienne du Grand Palais dans le cadre d’un grand bal gratuit avant la fête nationale française. La Philharmon­ie de Paris doit aussi lui consacrer une nuit entière le 7 octobre dans le cadre d’une «nuit blanche» organisée chaque année en France.

 ??  ?? Pierre Henry
Pierre Henry

Newspapers in French

Newspapers from Canada