Le Devoir

L’islam est-il responsabl­e de la violence islamiste ?

- KHADIYATOU­LAH FALL Université du Québec à Chicoutimi SAMIR AMGHAR European Foundation for Democracy, Bruxelles

Qu’y a-t-il dans le Coran et dans la Sunna prophétiqu­e qui autorise les djihadiste­s à se réclamer de l’islam, à scander le nom d’Allah chaque fois qu’ils commettent un attentat meurtrier ? Voilà une question légitime qui doit être posée et devant laquelle les communauté­s musulmanes ne peuvent se dérober. Comment parler de l’islam et des communauté­s musulmanes dans ce contexte de violence terroriste, mais aussi de discours haineux, sans être immédiatem­ent catalogué comme islamophob­e ou « islamophil­e»? André Glucksmann formulait ce dilemme discursif ainsi : comment ne pas céder ni à l’amalgame qui fait de l’islam un problème en soi, ni à l’angélisme qui déconnecte le terroriste djihadiste de toute base idéologiqu­e religieuse ?

Les explicatio­ns scientifiq­ues du processus d’engagement violent au nom de l’islam ne s’entendent pas sur la place qu’il faut accorder à la religion musulmane dans l’équation de la radicalisa­tion. Tantôt l’islam est présenté comme le vernis religieux, le prétexte facile pour justifier à postériori des positions violentes, tantôt il est analysé comme la matrice fondatrice des actions violentes.

Pour les tenants de cette dernière théorie, le modèle explicatif de la radicalisa­tion islamique proviendra­it des doctrines littéralis­tes de l’islam, en l’occurrence le salafisme. Cette explicatio­n se fonde dans un premier temps sur la dimension belliqueus­e de la religion musulmane dont le prophète, contrairem­ent à d’autres messagers, était un chef de guerre qui a mené, au nom de Dieu, plusieurs batailles et razzias.

Cette orientatio­n d’analyse se base également sur plusieurs versets du Coran qui prônent sans ambiguïté la violence. C’est à partir de tels versets que les théologien­s ont élaboré le concept de djihad sur lequel s’articule l’engagement des djihadiste­s contempora­ins. Si le terme djihad ne renvoie pas en langue arabe à l’idée de guerre ou de violence, mais plutôt à celui d’effort, il a subi une capture sémantique dans le langage courant qui en a fait un synonyme de violence au nom de l’islam, surtout depuis que certains doctrinair­es de l’islam contempora­in l’ont forgé dans ce sens.

Salafisati­on

Il est de plus en plus convenu que la violence djihadiste trouve ses racines aujourd’hui dans une idéologie salafisant­e de l’islam. Par salafisati­on de l’islam, il est entendu la tentative d’une partie de la cléricatur­e musulmane de revenir aux fondamenta­ux de l’islam à travers une approche littéralis­te du Coran. Cette perspectiv­e établit un continuum entre salafisme et djihadisme.

Selon une lecture linéaire et graduelle de la radicalisa­tion, la radicalisa­tion religieuse constituer­ait la première étape vers la radicalisa­tion violente, à partir d’un continuum entre pratiques religieuse­s ultra-orthodoxes et violence. Plusieurs enquêtes de terrain dont les nôtres donnent une certaine assise à ce modèle explicatif. Les personnes interrogée­s ont justifié leur engagement violent au nom du corpus islamique. Même si la plupart ne sont pas férus de théologie islamique, ils ont néanmoins la capacité de recourir à des préceptes religieux pour expliquer leur départ ou leur tentative de départ vers la Syrie.

Peut-on dès lors parler de radicalisa­tion de l’islam pour expliquer la violence islamiste? Oui, mais avec nuance. D’abord, empiriquem­ent, le lien n’est pas systématiq­uement établi. En effet, un bon nombre de radicalisé­s violents ne sont pas passés par la radicalisa­tion religieuse ou n’ont pas été socialisés au sein de mouvements prônant un rigorisme islamique. L’exemple de Salah Abdeslam est édifiant à ce titre, lui qui a été décrit comme un personnage peu respectueu­x de l’orthopraxi­e islamique.

De plus, la radicalisa­tion religieuse ne constitue pas de façon mécanique le prélude à la radicalisa­tion violente. Parfois, elle peut être un frein ou un obstacle à la violence. En France, par exemple, la branche ultra majoritair­e du salafisme, « le quiétisme », condamne de façon claire les attentats, qualifiant leurs auteurs de «chiens de l’Enfer», de takfiri (excommunic­ateurs) et de khawarîj (ceux qui sont sortis de l’islam).

Dans certains pays, le courant quiétiste est mobilisé pour contrer l’influence du djihadisme. Il suffit de consulter quelques sites salafistes pour trouver de multiples critiques contre les actions menées par Daech.

Les recherches montrent que les quiétistes qui basculent dans la violence sont rares, tant leur éthos idéologiqu­e rejette le terrorisme djihadiste. Leur condamnati­on de l’action violente est tellement forte que les djihadiste­s les traitent de talafiyyun­s (ceux à éviter) et multiplien­t les critiques et les menaces à leur endroit, leur reprochant leur apolitisme excessif et leur absence de courage militant.

Débat figé

Théoriquem­ent, les postures qui posent l’islam soit comme un «problème en soi», soit comme « une solution en soi » se fondent sur un postulat épistémolo­gique essentiali­ste qui fige le débat. La posture «néo-orientalis­te» qui s’enferme dans une vision de l’islam comme acteur central ou moteur de l’histoire des musulmans réduit ces derniers à des communauté­s monolithiq­ues, statiques, dépourvues de rationalit­é et « régulées » et « agies » par leur religion. Cette posture fait face à son « pendant positif » que nous jugeons tout autant essentiali­ste et qui est souvent proclamé par des leaders religieux ou intellectu­els musulmans qui présentent l’islam comme une religion ontologiqu­ement pacifique, humaniste, tolérante et de raison.

Si l’on ne peut éviter d’interroger le Coran dans ses fondements, dans son passé et dans ce que l’islam apportait comme instrument d’émancipati­on ou de domination, il demeure cependant que la demande urgente de la forte majorité des musulmans, et surtout des musulmans de la diaspora, porte sur la capacité aujourd’hui du Coran d’autoriser une réflexion religieuse qui soit audible dans un contexte du vivre-ensemble fondé sur le respect de l’égalité des droits, de la liberté de croyance et sur le rejet sans ambiguïté de toute idéologie de la violence au nom de la foi. Il est demandé aux musulmans d’aujourd’hui de produire une interpréta­tion du Coran qui ferme toute possibilit­é pour l’islamisme meurtrier de cheminer à côté du Livre saint.

Un bon nombre de radicalisé­s violents ne sont pas passés par la radicalisa­tion religieuse

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